Bloodline, un huis clos familial subtil, porté par un casting d'exception
Le cinéma indé en ligne de mireDepuis quelques temps, Netflix dans son ambition dévorante nous avait habitué à ses créations aux allures de superproductions hollywoodiennes, à l’image de la décevante Marco Polo et de la future Marvel’s Daredevil (sortie le 10 avril prochain). Bref, on avait un peu perdu de vue la ligne éditoriale de la plateforme américaine, qui avait à ses débuts secoué le petit monde de la TV outre-atlantique avec les géniales Orange Is The New Black et House Of Cards.
Avec Bloodline, Netflix se lance dans le genre surexploité du drame/thriller familial noir, où petits secrets et rancoeurs anciennes viennent mettre en doute les relations apparemment apaisées d’une famille sans histoire. Malgré quelques lenteurs et une voix-off superflue, Bloodline réussit à construire des portraits complexes et forts comme on en voit rarement dans les séries.
Habitués des séries à cent à l’heure, adeptes du binge-watching (ou gavage télévisuel), Bloodline n’est sans doute pas pour vous. Et pour cause, les showrunners Glenn Kessler, Todd. A. Kessler et Daniel Zelman (Damages) n’ont visiblement pas cherché à retenir le spectateur coûte que coûte, à grands renforts de cliffhangers insoutenables. Non, Bloodline est une série qui prend son temps, qui s’attarde –parfois trop- sur la caractérisation de ses personnages, sur les paysages idylliques des mangroves de Florida Keys où vit la famille Rayburn.
Parfait exemple de l’effacement des frontières entre le format série et celui du cinéma, Bloodline compte autant sur la forme que sur le fond. D’autant plus que les créateurs se sont entourés de pointures du Septième Art : Sissy Spacek, qui a depuis longtemps délaissé le terrifiant costume de Carrie (1976) pour interpréter ici Sally Rayburn, mère douce et inquiète, pilier fragile d’une famille finalement très instable. Elle donne ici la réplique à Sam Shepard, convaincant en mari aimant et père plus qu’ambigu. Ajoutez au tableau familial le beau-gosse John (Kyle Chandler), frère protecteur et leader dans l’âme, Meg, la sœur a priori irréprochable (Lina Cardellini) et le colérique mais sympathique Kevin (Norbert Leo Burtz), et vous aurez la parfaite famille Rayburn, pilier de la communauté.
Le retour d’un grand-frère mal aimé
L’élément perturbateur ne tarde pas à faire son apparition, sous les traits de Danny Rayburn, aîné de la fratrie, le seul à n’être pas resté dans l’entreprise familiale –un luxueux hôtel en bord de mer-, alors que les très populaires Rayburn organisent un week-end festif, sorte d’auto-célébration de leur réussite sociale. Quand Danny, mouton noir de la famille, débarque et décide de rester, les Rayburn sont pris de court.
Interprété tout en nuances par le très bon Ben Mendelsohn (Lost River, The Place Beyond The Pines), l’aîné des rejetons Rayburn fait tâche dans le décor paradisiaque et propret de l’hôtel familial : ses cheveux en bataille, son regard perdu, son allure dégingandée et son addiction aux anti-douleurs éveillent bien des doutes quant aux motifs de son choix. Les flashbacks sur un passé visiblement douloureux se doublent de flashforwards qui annoncent une tragédie future. Le huis clos familial débouchera-t-il sur un meurtre… ?
Au fil des épisodes, l’intrigue s’intensifie autant qu’elle se complexifie : Bloodline opte pour un fil conducteur multi-temporel, les flashforwards tenant en haleine un spectateur potentiellement lassé par la lenteur du récit. Si l’on peut reprocher à la série l’utilisation abusive et finalement assez rébarbative de la voix-off (celle de John) en début et fin d’épisode, Bloodline se démarque largement par sa richesse scénaristique, sa brochette d’acteurs talentueux et son esthétique cinématographique.