Alors qu'on annonce une suite "twenty years after" à la saison 2 de la série Twin Peaks (ne nous emballons pas trop vite puisque Lynch vient d'annoncer qu'une histoire de contrats avec les acteurs compromettrait la chose), le mélomane frétille : que nous prépare le génial Badalamenti pour cette suite ? Histoire de patienter, on peut se replonger dans cette BO sortie en 1992 et qui atteint des sommets. La vie à Twin Peaks après le meurtre de Laura Palmer est passablement inquiétante, mais cette plongée dans les bas fonds de la pauvre âme défunte va encore plus loin : faux semblants, confusion mentale, perdition, dépravation, folie, énigme du mal, tout ça est magnifiquement rendu par une musique qui ne ressemble à aucune autre, où alternent et parfois se mélangent musique d'ascenseur, guimauve kitschissime, soul hallucinée, smooth jazz magistral, swamp blues et poussées de fièvre hardcore et bruitiste. Avec Badalamenti, Lynch a trouvé son Morricone : un compositeur doué et un amoureux des sons, des textures et des timbres (ah! les guitares morriconiennes, un son d'enfer !).
Le morceau titre commence sur un tempo très lent par un improbable duo entre un synthé plombé et une trompette bouchée, dialoguant sur un champ de ruines : tout est foutu, alea jacta est, la petite Laura Palmer n'ira pas bien loin sur la route de l'épanouissement personnel. Parti pris de la simplicité extrême, le synthé pachydermique progresse sur une grille très basique, tandis que la trompette, doucement portée par le legato des cymbales, joue à la perfection des nuances piano/forte, sur une mélodie entièrement composée en mode mineur naturel. Et puis sans prévenir, une blue note, celle qui vous déchire le coeur, parce qu'elle arrive au bon moment, tandis qu'une basse introduit un peu de swing dans toute cette désolation.
Autre sommet émotionnel : "Sycomore Trees". Attention Badalamenti nous la joue All Stars : Jimmy Scott au chant, et Ron Carter à la basse ! Un bourdon, deux notes de piano lancinantes, et la voix transgenre de Jimmy Smith, qui chante une promenade et une possible rencontre "Under The Sycomore Trees". Tandis que Ron Carter à la contrebasse joue très libre, hors tempo, une musique intérieure, qui rappelle les grands moments de la "Freedom Controllated" du deuxième quintet de Miles. Musique très dépouillée, d'une densité extraordinaire, pour l'ultime rencontre entre Dale Cooper et Laura Palmer, dans le monde parallèle de la Black Lodge.
En Bref : une BO fascinante par sa capacité à coller aux images de Lynch, à tromper l'oreille en proposant une musique d'ascenseur hautement raffinée et exigeante. Histoire de patienter...