#electionsdépartementales #gaucheLa défaite de la gauche tient avant tout à la mécanique du tripartisme et des reports qu’il entraîne lorsque deux candidats seulement restent face à face.
La gauche (du PC aux divers gauche) avait obtenu 36,5% des suffrages au premier tour des élections départementales. La droite (du Modem à Debout la France de Dupont-Aignan) arrivait pratiquement au même total. Or, au second tour, en France métropolitaine, l’égalité numérique des deux électorats a volé en éclats puisque la droite avec 2 372 sièges de conseillers domine 63 départements de la métropole tandis que la gauche plafonne à 1 550 sièges et 29 départements seulement (le Gard, l’Aisne et le Vaucluse n’ayant pas de majorité).Pour expliquer le creusement de l’écart entre les deux blocs, les commentateurs ont immédiatement pointé la division de la gauche. Au premier tour, la rivalité de plusieurs listes de ses diverses sensibilités l’aurait empêchée d’être présente dans près de 500 circonscriptions et, au second tour, les électeurs, dont la sensibilité de gauche ne correspondait pas à celle du candidat de gauche resté en lice, auraient déserté l’isoloir. Ces deux explications ne tiennent pas la route. En supposant qu’au premier tour un seul candidat de gauche se soit présenté dans chaque canton et qu’il ait obtenu la somme des voix constatées à gauche dans ce canton, la gauche serait arrivée en tête dans seulement 65 cantons de plus et ne l’aurait emporté que dans moins d’une quarantaine en raison des forces en présence. Pour le second tour, les faits sont encore plus clairs : partout, à très peu d’exceptions près, le candidat de gauche a rassemblé plus de voix que l’ensemble de la gauche au premier tour.La gauche est peut-être divisée au sommet, mais elle demeure unie à la base. Seul le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, l’a constaté au milieu des lamentations de ses camarades. Mais alors comment expliquer la défaite ? Elle tient à l’arithmétique ou mieux à la mécanique du tripartisme et notamment des reports qu’il entraîne lorsque deux candidats seulement restent face à face. En cas de duel droite-FN, la discipline républicaine a largement joué, les voix de gauche du premier tour se reportant sur le candidat de droite qui l’a souvent emporté facilement sur son adversaire frontiste. En cas de duel gauche-droite, environ 75% des électeurs du FN ont rejoint la droite et 10% la gauche, ce qui a, à nouveau, servi la droite. Enfin, en cas de duel gauche-FN, les électeurs de droite se sont partagés en 40% pour la gauche et 60% pour le FN. Dans une telle configuration, c’est le parti situé entre les deux extrêmes qui tire son épingle du jeu (sinon, il faudrait un rapprochement des extrêmes comme cela s’est produit sous la République de Weimar avec l’évolution en «fer à cheval» décrite par Jean-Pierre Faye dans
Langages totalitaires). Enfin, dans les triangulaires, presque toujours, les candidats du FN et de la gauche ont légèrement perdu au bénéfice du candidat de la droite par rapport aux scores de la gauche et du FN au premier tour.Le lecteur peut vérifier mathématiquement ces processus à partir du nombre des votes du premier tour, séparés en trois blocs, gauche, droite, FN. En appliquant à chaque bloc les coefficients de transfert indiqués plus haut, il retombera presque exactement sur le résultat du second tour au niveau cantonal comme au niveau des majorités départementales. Sur les 95 départements métropolitains concernés par l’élection, ce calcul donne le même nombre de majorités de gauche et de droite que ce qui a été constaté, à une près (1).Autrement dit, le second tour était contenu dans le premier dès que l’on avait une estimation des reports du FN vers la droite et de la droite vers la gauche. Peu importe le style local de la campagne ou la configuration culturelle et sociale des cantons. Elle s’était pleinement exprimée au premier tour. Le second tour est le résultat artificiel du mode de scrutin. Le modèle permet aussi de calculer quel aurait été le score de chacun des trois blocs en nombre de canton sous telle ou telle hypothèse de report. Ainsi, si aucune voix de gauche ne s’était reportée sur le candidat de droite resté seul face à un candidat FN, 100 cantons supplémentaires seraient tombés dans l’escarcelle du FN qui aurait emporté la majorité dans le Vaucluse, l’Aisne et l’Oise et 22 sièges sur 46 dans le Var. Inversement si les reports de droite sur le FN avaient été plus importants (70% contre 30% vers la gauche), le FN aurait gagné seulement 30 cantons et aucun département.Ce n’est donc pas la désunion de la gauche qui a causé sa perte, mais la position centrale de la droite qui a imposé sa victoire. Le second tour se gagne au centre a-t-on coutume de dire. C’est ici le cas puisque la droite est au centre des trois blocs. François Hollande, empêtré avec sa gauche, ne pouvait plus faire un mouvement vers le centre quand les frondeurs, Jean-Luc Mélenchon et Cécile Duflot refusaient déjà la politique d’Emmanuel Macron et de
Manuel Valls. C’est l’intelligence (politique) de
Nicolas Sarkozy d’avoir compris que, son adversaire étant bloqué dans la direction du centre, il pouvait agréger l’UDI et même le Modem pour ne laisser aucun interstice libre au centre. Intelligence sans doute à courte durée car les élections régionales à venir obéissent à un mode de scrutin différent pour lequel le jeu des trois blocs, s’ils subsistent, se pliera à une mécanique différente.(1) Dans 57 cas, le nombre de cantons de gauche est celui observé exactement ou à 1 unité près et dans 21 cas, à 2 unités près. Les seuls désaccords de majorité concernent la Creuse et la Loire-Atlantique à 1 près, puis à 2 ou 3 cantons près, la Seine-Maritime, les Pyrénées-Orientales, la Meurthe-et-Moselle, la Drôme et le Val-de-Marne. Trois de ces erreurs se traduisent par un passage de gauche à droite, presque compensé par les quatre autres erreurs en sens inverse. La liste même des départements en cause montre qu’il n’y a rien de systématique dans les écarts entre le modèle et le résultat observé dimanche car ces sept départements ne présentent pas de facteur commun qui les distingue des 88 autres départements pour lesquels la prédiction s’avère juste.Derniers ouvrages parus : «Atlas des inégalités. Les Français face à la crise», Autrement, 2014 et «le Mystère français», Le Seuil, 2013 avec Emmanuel Todd.
1 AVRIL 2015Hervé LE BRAS Démographe à l'EHESS et à l'INEDhttp://www.liberation.fr/politiques/2015/04/01/ce-n-est-pas-la-desunion-de-la-gauche-qui-a-cause-sa-perte_1233082