~ d'après ÉVELYNE SAMORIS de Maupassant
La comtesse Albina Samoris Est une étrangère à clinquant Comme il en pleut cent Chaque année sur Paris. Venue d’un pays valaque, hongrois Ou je ne sais quoi. Elle tient salon ouvert Tous les soirs, 46 rue Auber. J’y vais comme nous y allons tous Parce qu’on y joue, Parce que les femmes sont faciles Et les hommes…vils ! Vous connaissez ce monde de flibustiers. Tous nobles, à décorations variées. Tous filous, hâbleurs, Insolites et menteurs. L’hôtesse, elle, est une aventurière, Féline et facile d’abord. Bien que rentière, Elle a de beaux restes encore. On la sent vicieuse jusque dans la moelle. On s’amuse beaucoup chez elle. On y joue, on y danse, On y soupe, on y manigance… Bref, on fait tout ce qui constitue La vie mondaine pour un premier venu. Mme Samoris a une fille, Évelyne. Radieuse comme le soleil, Elle valse à merveille. Elle est grande, joyeuse, fine, Blonde, frisée, élégante. Mais naïve et innocente. Elle ne voit rien, Ne sait rien, Ne comprend rien, Ne devine rien De ce qui se passe là où elle habite. Voilà la suite : Un jour, à ma porte, on sonne. Je suis prévenu par ma bonne Qu’un monsieur Cornélius Faté Demande à me voir. -« Qui est ce monsieur ? » -« Un noir. Ce monsieur Doit être un domestique. » C’était en effet un domestique Qui voulait entrer à mon service. -« D’où sortez-vous ? » -« De chez la comtesse Samoris. » -« Ah ! Mais chez nous, Ça ne ressemble en rien à sa maison. » -« Je le sais. C’est la raison Pour laquelle je voudrais servir Monsieur. J’y serai certainement mieux. J’en ai assez de ses gens-là. Ils passent mais ne restent pas. Tenez, il y a un mois, Un nouvel arrivant interrogeait Un habitué, célibataire prolongé : -’’ Dites-moi, Qui est cette jolie fille ? ’’ -’’ La fille de madame Samoris.’’ -’’ Et son père ?…’’ -’’ Un russe, parait-il, Le comte de Kracolis ; On ne le voit jamais Il a disparu.’’ -’’ Quel est le prince régnant Actuellement ? ’’ -’’ Ce gros lord Debout près de Cornélius. Mme Samoris l’adore. Faut dire que ses amis Sont nombreux ici. Ils sont tous appelés…et presque tous élus. Cela leur coûte beaucoup d’écus, Mais bah ! ’’ -’’ Samoris,… où a-t-elle pris ce nom-là ? ’’ -’’ D’un banquier suisse, Samuel Morice.’’ Évelyne avait tout entendu. Elle rapporta ces propos À sa mère qui nia aussitôt. Mais Évelyne, éperdue, Lui répondit : -’’ Maman, je me tue Si tu ne changes pas de vie.’’ Pourtant les canailleries Se poursuivent chez Mme Samoris. Or monsieur, figurez-vous qu’hier, Évelyne a surpris sa mère Au lit avec le lord anglais. Peu après, elle se tuait D’un coup de pistolet. » J’ai embauché Cornélius Faté Comme valet. Ce suicide, nul ne l’a jamais commenté.