Au fond de moi, je sais que ça n’aurait pas dû se passer ainsi.
Parce que ça ne nous ressemble pas.
c’est tellement, tellement loin de ce qu’on mérite.
De ce que je mérite.
Là, toi, au coin de la rue.
Peut-on à ce point changer ?
15 ans, est-ce vraiment si long ?
15 ans de vide, ça compte pour rien, pas vrai ?
Des années à construire une vie, avec cet étrange manque. Comme une ombre, toujours incomplète.
Juste un creux, presque rien, au fond du cœur.
Ça résonne là dedans, ça cogne aux parois, sans qu’on sache pourquoi.
Un creux qu’on fini par oublier, mais qui me leste, qui laisse filtrer la mélancolie comme s’il s’agissait d’un liquide poisseux.
15 ans à évacuer cet amas gluant, au goutte à goutte, insidieusement.
Et là, plouff. D’un coup, tout se liquéfie.
Tout coule.
Des larmes. De la bile.
Le creux se vide, et s’emplit de toi.
Souvenirs qui remontent, ta main sur ma joue, sourire en coin, ta dent de travers, tes travers, mes calvaires.
Te voir un instant, remplir 15 ans de vacuité. T’aimer ? Vraiment ?
C’est vrai, nous n’avions que 14 ans. 6 mois ensemble.
J’ai passé ma vie à tout comparer, à l’aune de ces 180 jours gravés en moi, comme un idéal.
Tu as déménagé.
Un an à m’en remettre.
Te voir, et le temps de quelques secondes, croire ces retrouvailles possibles.
Espérer en un nous plausible.
Tu me regarde.
Et puis, ces mots.
Ces mots qui lacèrent, ces mots vulgaires, ces mots délétères.
Stupides.
Toi. Moi. Surtout moi.
Cavité humide. Qui se remplie de nouveau.
« Marion, c’est ça ?
T’es devenu bonne tu sais … ça te dit, une petite sauterie, en souvenir du bon vieux temps ! »
Des retrouvailles, c’est toujours plus angoissant que le simple perspective d’une rencontre.
Il y a tout ce passif …
Ces souvenirs …
Ces sourires …
Et quelques rancœurs enfouies.
Depuis deux jours, j’ai cette mélodie dans la tête.
« On s’était dit rendez-vous, dans 10 ans » …
Si tu es ponctuel, dans 10 minutes, c’est bien 10 ans de vie qu’on va se raconter.
10 ans et quoi ? On refaisait le monde et au final …
Et si toi, tu avais réussi ?
Je veux dire, vraiment réussi, pas juste une routine de confort …
Tu voulais t’engager dans l’humanitaire, écrire des romans, vivre vraiment, ne jamais devenir grand.
Les adultes et leurs règles étroites, ce n’était pas ton monde.
Suis-je devenue trop adultes pour toi ?
Je te vois, arriver au loin.
Blouson en cuir, rangers élimées _ ma main à couper que ce sont les mêmes qu’à la fac_ démarche nonchalante de celui qui ne craint rien.
Je ne suis plus très sure de vouloir … car je ne suis plus celle …
L’idéaliste a laissé place à cette femme trop terre à terre, un peu terne, tellement prudente, toujours raisonnable.
Qu’est ce que je fais ici ?
A quoi ça mènera ?
Encore quelques mètres et je serais dans ton champs de vision.
Quelques mètres et … à quoi bon ?
Un pas en arrière, puis deux.
Des adieux silencieux.
Ce mois-ci, le thème de l’atelier d’écriture « Les jolies plumes » était : « Retrouvaille ».
J’ai été inspiré, puisque j’ai écrit deux nouvelles. Je ne suis pourtant pas très satisfaite, ni de l’une ni de l’autre.
Je sais pas, je devais être dans une mauvaise phase. Retrouvaille foirée ou avortée …
Il faut dire que lorsque j’entends Retrouvaille, je pense : déception, appréhension, angoisse.
Quel négativisme, vraiment !!!
Illustration : Two Cats, Leonard Freed – Naples, Italy 1958. Looks like « High Noon. »