Selon Philippe Nemo, il existe une relation entre la beauté
et la liberté, et a contrario une relation entre le socialisme et la laideur.
Revue de livre par Francis Richard
Jeudi 26 mars 2015, il est dix-neuf heures passées. Nous
sommes dans le Grand Salon Jaune de la Société de Lecture de Genève.
Laquelle se trouve dans un bel hôtel particulier du XVIIIe siècle, au 11 de la
Grand-Rue, dans la vieille cité. Un lieu magique, qui fait rêver, avec sa
bibliothèque de 400.000 volumes… Après une brève présentation de Philippe
Nemo par Pierre Bessard, directeur de l’Institut Libéral, l’auteur d’Esthétique
de la liberté commence sa conférence sur « La beauté d’une société
libre ».
L’idée d’écrire son livre est venue à Philippe Nemo lors
d’un séminaire en Italie, à Dogliani, où il avait été invité à s’exprimer sur
le thème de l’anthropologie de la liberté, en octobre 2011. À cette occasion il
avait pu établir la relation entre la beauté et la liberté, la beauté et le
libéralisme. Et a contrario la relation entre le socialisme et la laideur.
Tout était en fait parti d’une fable de La Fontaine, Le loup et le chien.
Où le loup, tout maigre et efflanqué qu’il est, apparaît beau, tandis que le
chien, gras et poli, apparaît laid. Le premier est en effet libre, tandis que
le second a le cou pelé par le collier auquel il est attaché…
Philippe Nemo part de trois points :
·
Avec les philosophes grecs et chrétiens, et avec Kant, il apparaît que le
vrai, le bien et le beau ne peuvent être poursuivis que dans la liberté.
·
Avec Orwell, Arendt, Hayek et Zinoviev, que la
laideur est la marque de la servitude ;
·
Il y a un lien étroit entre l’être et l’avoir :
la propriété privée permet de conserver ce que nous avons et ce que nous
sommes, alors que le collectivisme confond les avoirs et empêche les êtres de
se différencier ;
Le voyage, qui comporte de l’imprévu, change l’être et
révèle à nous-mêmes ce que nous sommes.
Conclusion : seules les sociétés libérales permettent de
donner un sens à la vie.
Barry
Smith, philosophe britannique qui enseigne à l’université de Buffalo,
définit ainsi le sens de la vie : créer une forme originale, qui modifie
le monde et qui est constatée par des témoins extérieurs. Exemples : Beethoven,
Mahomet, Alekhine (joueur d’échecs), Faraday ont donné, dans cette acception,
un sens à leur vie… Or, seules les sociétés libérales, c’est-à-dire libres,
maximisent les chances qu’un individu pris au hasard donne un tel sens à sa
vie.
Philippe Nemo conteste cependant qu’il soit besoin de
témoins extérieurs pour créer une œuvre originale qui donne du sens à la vie :
une vie peut avoir un sens sans conscience et inversement. Ce qui compte, c’est
le commerce avec les idéaux de l’esprit, une œuvre pouvant être créée en
réalité sans conditions. Une vie, si brève soit-elle, a d’ailleurs de la valeur
si elle a plu à Dieu…
Pour Philippe Nemo, ce qui importe, c’est donc de poursuivre
les idéaux de l’esprit : il faut ainsi préférer le bien au mal et aimer la
vérité quand bien même elle n’est pas reconnue. Pour ce qui est de la beauté,
il s’agit là d’un idéal de l’esprit différent des deux précédents.
Il existe en effet deux conceptions de la beauté :
·
platonicienne : la beauté est transcendante, elle
n’est pas fonctionnelle ;
· aristotélicienne : toute découverte est
merveilleuse, elle rend semblable à Dieu, elle est le signe de la perfection,
c’est-à-dire, étymologiquement, de ce qui est fait entièrement.
Dans les deux conceptions, c’est l’idée d’éclat qui ressort.
Le sage rayonne par sa beauté morale (les Grecs parlent de καλοκἀγαθία, Cicéron
d’honestas) : le sage est bel et bon, il pratique les vertus.
Pour que la beauté puisse éclore, il y a nécessité d’un
contexte. Ce contexte pour l’homme doit favoriser l’exercice par lui des quatre
vertus cardinales que sont la prudence, la tempérance, la force d’âme et la
justice. Mais la première de ces vertus est encore la justice, parce que les
autres s’ensuivent.
Il existe deux sortes de justice :
·
la justice distributive (selon le mérite) ;
·
la justice commutative (où il y a égalité dans
les échanges).
On ne peut être pleinement juste que dans la cité. On ne
peut pas être homme dans son coin. On ne peut pas l’être dans une société de
servitude.
Dans sa Somme théologique, Saint Thomas d’Aquin,
sur 3.000 pages, en consacre 2.000 à la morale et il passe en revue vertus et
vices. Parmi les vertus connexes :
·
la véracité peut se définir comme la propension
à dire le vrai : la société socialiste favorise au contraire la tromperie sur
la marchandise par l’irresponsabilité ;
·
la libéralité consiste à donner un peu plus que
ce que l’on doit : on ne peut pas être libéral dans ce sens-là si l’on ne
possède rien ;
·
l’esprit de paix reconnaît que la prédation
n’est pas payante : il est difficile de commercer en cas de guerre et
commercer, c’est renoncer à la violence ;
·
la tolérance revient à laisser autrui faire ce
qu’il veut et à ne pas se préoccuper de ce qu’il fait : les socialismes, au
contraire, sont intolérants, par construction, puisqu’ils font des comparaisons
entre ce que possèdent les gens.
Toutes ces vertus ne peuvent donc se développer que dans le
contexte d’une société libre, où on aime produire, et non pas dans celui d’une
société socialiste, où on fait du lobbying, ce qui se traduit par un
amoindrissement de l’humain.
Philippe Nemo termine par les trois vertus théologales, la
foi, l’espérance et la charité. Ce ne sont pas des vertus qui sont en
elles-mêmes favorisées par la société libre, mais il est tout de même plus
facile de les y pratiquer que dans la société socialiste.
Répondant à des questions, Philippe Nemo remarque qu’en
France les adversaires du libéralisme ont réussi leur coup en prenant l’école,
que, si la gauche a perdu en fait la bataille des idées, elle n’en possède pas
moins les institutions, qu’elle détient le pays légal et qu’elle n’écoute pas
le pays réel…
François Hollande a déclaré qu’il ne lisait pas de
livres. En sortant de La Société de Lecture, je fais remarquer à Philippe Nemo
la phrase latine – elle est de Saint Thomas d’Aquin -, inscrite sur son
frontispice : « Timeo hominem unius libri », c’est-à-dire « Je
crains l’homme d’un seul livre ». Il me fait remarquer en retour que c’est
une phrase qu’un musulman ne devrait en principe pas apprécier… Je lui réponds
qu’il faut de toute façon craindre davantage l’homme d’aucun livre…
Philippe Nemo, Esthétique de la liberté, PUF, 2014, 220 pages.