Avec Le prophète, je peux amorcer un début de réponse. J’ai découvert ce texte par écrit il y a quelques années, j’avais été très enthousiasmée et vous en faisais part ici. Je ne l’exprimais pas mais je prends conscience aujourd’hui de l’univers physique du paysage d’Orphalèse que j’imaginais volontiers situé dans une plaine désertique à proximité de la mer. Le prophète à la sortie de la ville, tourné vers le peuple, dos à la plage et au port haranguait la foule de ses sages préceptes.
Dans cette version lue, publiée par Audiolib et interprétée par Michaël Lonsdale, je perds complètement cet espace de liberté, aéré, séché par le soleil, cette perspective que je m’étais créée entre désert et océan. La voix de l’acteur trainante dans son micro, allongeant légèrement – mais déjà beaucoup trop – la dernière syllabe des phrases, l’appui trop prononcé sur le « -dit » des début de parapraphes « il répondit » m’agace au plus haut point et me renvoie l’image d’une église trop sombre, à l’espace contraint, dans laquelle un vieux prêtre viendrait sermonner ses ouailles. Je suis bien loin de cette ville orientale, rêvée et sableuse, où le regard se libère vers l’horizon lointain.
Je suis d’autant plus dérangée par cette interprétation que Le prophète justement se voudrait ne dépendre d’aucune religion. Ce texte, profondément humaniste, nous parle d’un Dieu qui n’appartient à personne ; et cette voix toute chrétienne semble me le kidnapper, l’instrumentaliser pour une cause qui n’est pas la sienne.
J’ai bien conscience que ce n’était probablement pas le but de Michaël Lonsdale, ni celui des éditeurs, mais de toute évidence, l’interprétation a largement influencé mon écoute et ma compréhension jusqu’à la transformer complètement. Je n’arrête pas là pour autant mes expériences de lectures auditives, elles viennent compléter mes temps de lecture plus classique à des moments où je ne suis pas en mesure, techniquement, de tenir un livre entre les mains.