Pour lutter contre la pêche clandestine, deux entreprises britanniques ont mis au point un système qui s’appuie sur le big data pour avertir les autorités compétentes d’un pays lorsqu’un navire braconne dans ses eaux territoriales.
Deux entreprises britanniques ont récemment déclaré la guerre aux pêcheurs clandestins. Misant sur des technologies de pointe, les sociétés Pew Charitable Trusts et Satellite Applications Catapult ont conçu un système, Project Eyes on the Seas, permettant de récolter et croiser un grand nombre de données afin de traquer les activités de pêche suspectes. D’autres acteurs du numérique se sont déjà attaqué à cet épineux problème, comme Google avec son projet Global Fishing Watch. Mais ce système repose principalement sur les données de localisation issues du transpondeur obligatoire sur tous les navires. Or, les pêcheurs mal intentionnés se contentent souvent d’éteindre celui-ci. Pour recueillir ses données, Project Eyes on the Sea mise donc également sur des images satellites, des bases de données de navires de pêche, les coordonnées des zones de pêche et des réserves marines, et enfin la profondeur et la température de l’eau. Autant de données qui permettent de repérer les zones sensibles et d’y détecter les anomalies éventuelles. Lorsqu’un bateau pénètre dans une réserve marine, pêche dans une zone interdite, cesse de signaler sa position ou refourgue sa marchandise à un autre vaisseau en haute mer (méthode souvent utilisée par les pêcheurs clandestins), un algorithme le signale et donne l’alerte. Celle-ci est ensuite étudiée plus en détail par des analystes, qui se chargent d’avertir les autorités compétentes, données à l’appui. Libre ensuite à elles de prendre les choses en main.
L'emploi de mégadonnées pourrait permettre de repérer plus facilement les pêcheurs clandestins.
Mettre fin à l’immunité des braconniers
La pêche clandestine est un véritable fléau économique et environnemental. Chaque année, un poisson sur cinq est pêché dans l’illégalité. Dans certaines régions, ce taux monte à 40%. Conséquence : un manque à gagner économique certain, bien sûr (le Sierra Leone perdrait à lui seul 30 millions de dollars par an à cause de la pêche illégale), mais également des dommages irréversibles sur la biosphère, la quantité et la variété des espèces sous-marines, les pêcheurs clandestins se souciant bien peu de la préservation de la biodiversité. Selon l’ONG Greenpeace, 80% des espèces de poissons seraient aujourd’hui surexploitées ou au bord de la surexploitation (la pêche illégale n’est pas la seule responsable, mais elle y contribue). Or, les pirates jouissent trop fréquemment d’une immunité quasi-totale, d’abord parce qu’il est impossible de quadriller l’océan de navires susceptibles de les prendre sur le fait, ensuite parce la coopération entre les Etats est insuffisante : compétences et informations ne circulent que très peu à l’échelle internationale. « Project Eyes on the Sea est conçu pour transformer le système d’information et de régulation actuel, coûteux et lacunaire, en un système global permettant d’identifier et traquer les bateaux de pêche clandestin avec un coût bien moindre. » affirme ainsi Joshua Reichert, vice-président de Pew Charitable Trusts, sur le site de l’entreprise.
La pêche clandestine contribue à la destruction de la faune sous-marine.
Convaincre les Etats de coopérer
L’initiative mise en place par Pew Charitable Trusts et Satellite Applications Catapult peut-elle changer les donnes ? Certains se sont en tout cas laissé convaincre : c’est le cas de Palaos, qui participe au projet pilote Virtual Watch Room, destiné à tester le dispositif à petite échelle avant de lui donner plus d’ampleur. Le Royaume-Unis compte également créer une grande réserve marine autour des îles Pitcairn, dont la surveillance sera assurée par ce projet. Si la Virtual Watch Room s’avère concluante, les deux entreprises souhaitent étendre leur dispositif à plus grande échelle, avec pour but ultime de pouvoir avertir n’importe quel gouvernement dans le monde de l’entrée d’un navire de pêche clandestin dans un de ses ports. Pour cela, elles comptent accroitre leurs sources de données, en ayant notamment recours à des drones et au crowdsourcing (photos prises par des particuliers). Reste à assurer le fonctionnement de ce complexe dispositif à grande échelle. Et à convaincre les nombreux pays qui se montrent pour le moins tolérant à la pêche clandestine de changer leur fusil d’épaule…