1972, année faste pour le rock et la pop hexagonale : Dutronc sortait "Le Petit Jardin", c'était l'année de Polnareff's, Françoise Hardy pondait pas moins de deux chefs-d'oeuvre, l'un en français, l'un en anglais, toutes ces choses là devaient inconsciemment un tribut aux disques de Vannier, Gainsbourg, Sheller, Petitgirard, Demarsan, Goraguer tous ces grands orchestrateurs, arrangeurs et compositeurs que le monde entier ne nous enviait....pas encore, mais dont il allait se réclamer plus tard.
Véritable OMNI, à rapprocher de L'? de Dick Rivers ou de Rêve et Amour de Johnny, Zig-Zag, collaboration voulue par Eddy avec les musiciens de Zoo et de Magma, marquait probablement le point d'orgue de la discographie de l'artiste qui comptait déjà quelques perles R&B et freakbeat. Pourtant - et assez caractéristiquement - ce devait être un four retentissant, ce qui selon la loi de l'offre et de la demande en font une pièce assez recherchée aujourd'hui.
Depuis, déjà quelques saisons Eddy Mitchell et ses talents de parolier ne se contentent pas seulement de transposer des standards existant - notion en rien rédhibitoire au vu des capacités vocales de notre homme, et notamment des deux "reprises" incluses ici. Il égrène ses mots et est généralement secondé pour la composition par son binôme Pierre Papadiamiandis ou autre Jean-Pierre Bourtayre. Le disque et sa grosse demi-heure de rigueur resserre le propos autour de 11 chansons aussi dissemblables que groovy dans leur approche rythmique, la dynamique hénaurme que lui confèrent essentiellement les basses, percussions et cuivres kobaïens.
Un morceau qui détonne dans tout ce que l'artiste a pu faire auparavant ouvre l'album ; ce "En Revenant Vers Toi" qu'une oreille discrète, aura tôt fait de prendre pour un refrain cheesy à la Adamo ("...Petite Fille de mes Rêves..."), quand on louvoiera dans ce que la Variété a de plus noble, au sens Bacharachien du terme, en particulier lorsque réhaussé de percussions étincelantes. S'ensuit un morceau tout en retenue où la thématique sombre, occulte de l'album évolue entre croonerie classieuse et cabaret jazzy. Plus conventionnel et après cette entame feutrée "Le Vaudou" envoie du bois avec guitares acérées et cuivres façon revue soul. "Personne", toujours admirablement interprétée se veut lyrique, et poursuit sur une veine désabusée voire mélancolique." Stop" à la rythmique carribéenne irrésistible se veut enfin plus hédoniste, et un autre tour de force vocal.
La face B convoque deux adaptations, génialement dynamisées, l'une des Moody Blues, est une nouvelle réussite, une leçon de chanteur interprète. Que dire de "Cash", initialement "Patches" et popularisé par Clarence Carter, dans laquelle et d'une façon non dénuée d'amertume, Mitchell évoque sa lose persistante en ce début de décennie, empruntant le phrasé revanchard en mode Johnny frondeur : c'est assurément l'un des moments forts du disque, un grand moment soul saupoudré des notes brillantes d'un Hammond. Territoire à la Otis qu'emprunte aussi le swing très souple de "Je Quitte La Ville", où le chanteur se régale dans des changements d'harmonie façon cabaret. Tout comme "Résurrection", qui donne son ton résolument noir (dans tous les sens du terme) au 12ème disque d'Eddy Mitchell.
"Tout est dit", d'apparence plus primesautière, cède le pas à l'un des singles :Ironiquement seule chanson véritablement connue de l'album qui allait préfigurer ironiquement les jours heureux, la funky "C'est Facile" est parsemée d'éclats de wah-wah et de giclées d'orgue étincelant.
Eddy a tout compris.
En bref : une réussite incontestable, une pierre posée dans le patrimoine pop d'ici. Un album unique en son genre d'un artiste important de nos contrées, et admirablement secondé par certains des meilleurs musiciens de l'Hexagone des seventies. Sexy et groovy. A redécouvrir.
"Cash"
"Le Jeu"