« Il n’y a pas de doutes, elle est guérie », se disait le docteur Albert, tandis qu’il écoutait Gilberte lui commenter d’un ton calme et résolu le livre de Freud Délire et rêves dans la Gradiva de Jansen.
Cette thérapie du dix-neuvième siècle, l’électrochoc, tant décriée pour sa barbarie, était maintenant au point.
Gilberte était arrivée prostrée dans son service hospitalier, le plus célèbre de Marseille. Et là voilà presque souriante, remarquablement intelligente au bout d’un mois de traitement. L’électrochoc allait révolutionner le monde de la psychiatrie : plus besoin d’antidépresseurs, d’anxiolytiques. Simplement des courants électriques, sur le crâne, qui provoquaient des crises d’épilepsie, tandis que le malade était endormi et ne s’apercevait de rien.
Rien à voir avec ce qu’avaient subi Antonin Artaud et Van Gogh en leur temps. Il pensait à ce livre détestable d’Antonin Artaud, Van Gogh, le suicidé de la société, que d’autres médecins citaient régulièrement pour dénigrer son travail.
Les psychanalystes s’acharnaient contre le nouveau traitement.
Leur métier tomberait en désuétude, leurs revenus aussi. Bannies les années interminables où leurs patients s’escrimaient à déchiffrer les rêves, à les commenter. Les électrochocs guérissaient tout.
Midi sonnait. Il pensait avec attendrissement que Gilberte incarnait la Gradiva de Pompéi, si gracieuse, s’avançant vers une nouvelle destinée.
— Je vais vous signer votre bon de sortie…
Il le tendit à Gilberte avec un sourire satisfait. Une légère brise passa à travers le rideau qui camouflait les barreaux de son bureau. Une brise annonciatrice de…
Le docteur Albert n’eut pas le temps de finir sa phrase.
Il s’affaissa d’une masse sur son bureau.
On n’eut pas de mal à retrouver l’assassin : un lourdaud incurable, qui traînait toujours autour du bureau du Docteur Albert.
Mais ce qui parut étrange fut l’arme du crime : un pavé rosé, poreux, qui fut identifié, après de nombreuses recherches, comme l’une des pierres fondatrices du Temple d’Apollon, à Pompéi, au sixième siècle avant le premier millénaire.
Notice biographique
Laurence Millereau est née le 14 août 1953 en Bourgogne. Elle a passé son enfance et son adolescence à Toulon. Elle obtiendra une maîtrise de philosophie de la Sorbonne, après l’hypokhâgne à Toulon et la khâgne à Paris, où elle a vécu 25 ans avant de retourner dans le Var. Dans la capitale, elle fera le parcours des librairies, dont la librairie-galerie Biffures qu’elle dirigera.
Dans le Var, elle a été attachée de presse pour les spectacles musicaux de Carnoules et pour le théâtre le Comédia. Pendant dix ans, elle a été aussi responsable d’un atelier d’écriture à Ollioules, près de Toulon.
Publications : Colette et le Palais-Royal, dans l’ouvrage Lieux d’écrits, mars 1987, collaboration de 39 écrivains contemporains, Éditions Royaumont. Elle a aussi publié des textes aux Éditions Tarabuste, dans la Revue des Archers, et d’autres aux Éditions La Tartuga, ainsi qu’une série de 11 textes sur les livres à partir des dessins de Florence Guillemot, Éditions Bellodorso en 2014.