d'Ana DuVernay
Sorti le 11 mars 2015.
Selma, Arkansas, 1964. La lutte pour le droit de vote des noirs américains fait rage aux Etats-Unis. Lorsqu’une citoyenne de couleur est humiliée alors qu’elle va s’inscrire sur une liste électorale, le soulèvement gronde. Martin Luther King (David Oyelowo) s’engage auprès des habitants de Selma pour que la loi soit appliquée.
Malgré la non-violence qu’il prône, Martin Luther King est confronté à des tensions au sein des activistes des civil rights, aspect rarement abordé au cinéma. DuVernay en fait un point d’ancrage important dans son film A plusieurs reprises, l’image nous absorbe dans les conflits qui opposent les blancs aux noirs, mais également dans les luttes internes qui divisent quant à l’attitude à avoir face aux brimades. On est aussi vite confrontés aux risques pris par ces partisans d’une égalité encore inexistante. La marche de protestation, filmée avec une grande sobriété, laisse place à l’émotion et à la foule, compacte et immense, qui avance face aux policiers, dans le cadre quasi-fixe. Par ses plans rapprochés, la caméra de Bradford Young capte intensément les visages sombres, la conviction du personnage principal et l’implacable réalité. La violence est palpable à chaque instant. Très peu de musique pour souligner cette page de l’histoire, mais quelques chants égrainés tout au long du film. Dans certaines scènes clés, les gospels diffusent une grande douceur mais, par leur caractère répétitif et spirituel, nous remplissent de pleurs, de rage et d’énergie. SELMA n’est définitivement pas le genre de film qui vous laisse indemne. On finit groggy. On aimerait pourtant se réveiller, s’apercevoir que ce n’était qu’un conte, un de ceux qui font peur pour nous mettre en garde, de ceux qui métaphoriquement nous apprennent à vivre. Mais non, les quelques images d’archives, utilisées au bon moment, sont bien là. Elles nous rappellent à la réalité, à la violence de l’histoire. Certaines scènes du film nous sèchent. Alors que nous sommes confortablement installés dans notre fauteuil, plongé dans une scène plutôt banale, la brutalité nous sonne, tel un uppercut bien placé. Loin de la véritable expérience de la persécution, nous en expérimentons tout de même quelques sensations. L’horreur fait irruption sans prévenir et provoque notre indignation. Peu à peu, le film entraîne doucement le spectateur dans la peau des opprimés. On assiste impuissant aux intimidations dont a été victime King lors de son combat. Les scènes familiales, intenses et tendues, soulignent qu’un homme de cette envergure ne pouvait prétendre à une vie normale. Des incrustations nous rappellent avec froideur que les faits évoqués dans SELMA étaient connus du FBI, Hoover tenant à l’œil tous les activistes. La réalisatrice insiste enfin sur la conscience qu’a Martin Luther King des risques qu’il prend, et surtout des risques qu’il fait prendre à ses compagnons de luttes. On suit ses doutes, toujours avec pudeur et pertinence.
Alors que les images soulèvent chez le spectateur une révolte croissante, l’acteur anglais David Oyelowo incarne le calme et la détermination. La force et la puissance que dégage l’acteur suffisent à nous galvaniser, à nous convaincre. Dès lors, tout affrontement physique paraît vain et la performance de l’acteur sert totalement la non-violence de son personnage. En parallèle, le contraste est parfait avec Tim Roth, incarnant le gouverneur de l’Arkansas aux discours remplis de hargne raciste. Entre les deux, le Président, montré pieds et poings liés par un agenda électoral. Tom Wilkinson rend Johnson convainquant, parvient à transmettre l’indécision subordonnée à l’ambition personnelle avec une grande justesse, malgré quelques scènes un peu trop longues.
Ava DuVernay a eu toutes les difficultés du monde pour réaliser son film. Bravant les entraves des studios, elle signe un film fort et parfaitement maîtrisé, dans la lignée de 12 Years A Slave (Steve McQueen, 2013).
Pauline R.