Un cas d’école de stratégie de raccourci
La réussite brésilienne s’explique par la dynamique d’un groupe privé JBS, le soutien du politique (en particulier sous la présidence Lula, l’appui du secteur bancaire brésilien par le biais de la Banque nationale du développement (BNDES).
En 2014, le groupe brésilien JBS (JBS-Friboi) a fait un chiffre d’affaires de 36 milliards d’euros . Si il est encore à 50 milliards d’euros derrière Nestlé dont le CA est de 85 milliards d’euros en 2014, ce groupe illustre parfaitement l’efficacité d’une stratégie de raccourci :
• captation des techniques d’élevage auprès dues groupes qui s’installent au Brésil comme ce fut le cas pour le groupe français Doubs qui prend pied sur le marché brésilien en 1988.
• coûts très bas de la culture des céréales destinées à l’alimentation des animaux (maïs et de soja à dominante transgénique.
• approche conquérante des marchés extérieurs (la moitié du chiffre d’affaires de JBS) par un dumping sur les prix.
• Bénéfice tiré de la très forte baisse de la monnaie brésilienne, le real.
• Envol de la consommation intérieure (de 29,91 kg de poulet par personne en 2000 à 47,38 kg en 2011).
• Acquisition de firmes clés sur le marché mondial à l’image du rachat par JBS de 64 % de Pilgrim’s Pride, la firme dominante du poulet sur le marché nord-américain.
Le Brésil projette de fournir en moins d’une décennie près de la moitié du marché mondial de la volaille.
Une culture de la guerre économique expérimentée sur le marché sud-africain
Dans le secteur agroalimentaire, les relations économiques entre le Brésil et l’Afrique du Sud ont été marquées par l’émergence d’un conflit commercial à fort contenu symbolique, politique et social ayant pour enjeu l’importation de volailles brésiliennes en Afrique du Sud. Le Brésil estime que des droits de douane injustifiés sont appliqués à ses exportations de volailles sur le marché sud-africain. L’Afrique du Sud applique depuis 2010 un droit de douane de 63% sur les volailles brésiliennes entières et de 45% sur la viande découpée, estimant que ces produits arrivent sur son marché à un prix trop bas qui met à mal les filières locales.
L’Afrique du Sud affirme que le Brésil fait du dumping sur ce type de produit, au détriment des entreprises sud-africaines comme Astral Foods, alors que les entreprises sud-africaines dominent un secteur particulièrement concentré : deux entreprises produisent 50% de la volaille et sept entreprises en produisent 75%.
Les Sud-Africains consomment plus d’un milliard de poulets par an et c’est un élément clef de la stabilité sociale de ce pays, au même titre que le riz en Chine ou le blé en Egypte. C’est la nourriture de base de très nombreux Sud-Africains noirs, base de l’électorat de l’ANC. Entre 2008 et 2010, les poulets entiers brésiliens ont représenté de 36 à 44% des importations sud-africaines, tandis que les morceaux désossés de poulet brésilien représentaient entre 94 et 97% des importations sud-africaines. L’Association des exportateurs et producteurs de poulets brésiliens estime que les poulets du Brésil ne représentent que 15% du poulet consommé en Afrique du Sud et que le problème est artificiellement gonflé par les autorités sud-africaines.
Or, les importations de volaille en provenance du Brésil et d’Argentine ont atteint 5 millions de carcasses de poulet par semaine dès décembre 2010 contre une production locale de 18,5 millions par semaine. En janvier 2011, les importations de volaille étaient de 33% supérieures à celles de janvier 2010. Les produits importés étaient vendus environ 23% moins cher que la moyenne des prix locaux. L’appréciation du rand à la fin 2010 explique en partie la hausse de ces importations. La question a donc pris depuis 2012 une dimension éminemment politique avec une multiplication des manifestations de protestation des producteurs sud-africains de volailles et un risque fort de dérapage politique interne.
Le 21 juin 2012, le Brésil a demandé l’ouverture de consultations avec l’Afrique du Sud dans le cadre du système de règlement des différends (ORD) de l’OMC au sujet des mesures antidumping imposées par l’Afrique du Sud sur la viande de volaille en provenance du Brésil.
En août 2012, la South Africa’s International Trade Administration (ITAC) a imposé des mesures antidumping sur le poulet congelé et la viande de volaille importés du Brésil après une enquête suspectant le Brésil de concurrence déloyale entre 2008 et 2010. L’Afrique du Sud a introduit une taxe de 62,33% sur les poulets entiers et de 46,59% sur les poulets désossés, à l’exception de ceux provenant de l’entreprise Aurora Alimentos frappés d’une taxe de 6,25%.
Le 31 décembre 2012, le ministre sud-africain de l’Industrie et du Commerce, Rob Davies, a levé les taxes anti-dumping sur les importations de poulet brésilien. Il s’est référé à une note du ministère du Commerce et de l’Industrie montrant que les difficultés de l’industrie sud-africaine du poulet provenaient des importations en général, mais pas spécifiquement des importations du Brésil.
Le 9 avril 2013, d’importantes manifestations ont été organisées par le syndicat sud-africain Food and Allied Workers Union (FAWU) pour protester contre les importations croissantes de poulets brésiliens. Les autorités sud-africaines ont menacé de rétablir leurs taxes anti-dumping, alors que l’impôt à l’importation est de 5% sur les poulets entiers et de 27% sur la viande désossée.
La puissance de l’offre par les prix aux dépens de la qualité et de l’art de vivre
Le groupe brésilien JBS n’hésite pas à s’allier à la force de frappe de l’industrie agro-alimentaire américaine comme le confirme l’implantation au Brésil de Cobb-Vantress. Cette filiale du groupe américain de la viande Tyson Foods mise sur l’expérimentation de la génétique dans le domaine de la volaille. Sa présence au Brésil s’explique par les facilités qu’offre ce pays dans le domaine de la recherche scientifique appliquée à l’agroalimentaire. la recherche de la diminution du coût par la réduction du volume de l’alimentation du poulet supplante toute autre approche, en particulier dans le domaine de la saveur et du goût. les groupes français comme le groupe Doubs n’arrivent pas à suivre dans cette logique puisque le prix de ses poulets est supérieur en moyenne de trente cinq centimes d’euros au kilo par rapport au poulet brésilien.
Les défenseurs d’une autre optique productive savent pertinemment que cette optique à l’opposé des politiques menées par JBS ou Doubs impliquent une politique de prix plus élevée et par conséquent une consommation différente du poulet (moins souvent mais de meilleure qualité). Ce choix alimentaire est difficile dans les pays qui ont une population dont une forte majorité de la population est en dessous du seuil de pauvreté. En revanche, la promotion d’une consommation axée sur la recherche du goût et de l’art de vivre est possible dans les pays européens où les populations ne sont prêts à manger n’importe quoi.