Par Baptiste Créteur et h16
L’actualité chargée, tant sur le plan bêtement politique que, plus triste, sur le plan aérien, aura sans doute détourné un peu l’attention de l’énorme scandale qui secoue maintenant le pays : on découvre, effaré, qu’un directeur d’école a commis une série de viols sur des enfants de la classe de CP dont il avait la charge. Neuf enfants, entre six et sept ans, auraient été victimes de ce pédophile.
C’est bien sûr, une histoire sordide et rien que ces faits justifient que la presse s’empare du sujet. Mais c’est aussi un terrible scandale, parce que ces viols auraient pu être évités.
En effet, à mesure qu’on en apprend plus sur ce directeur, on découvre qu’il avait déjà été condamné pour détention d’images à caractère pédopornographique il y a sept ans, en 2008. Manifestement, cette condamnation, absolument pas anodine, n’a pas définitivement écarté l’individu d’activités le plaçant en responsabilité d’enfants. Rassurez-vous cependant, le problème, comme souvent, vient des autres et en l’espèce, de l’institution judiciaire qui n’aurait pas informé les autorités éducatives du pays. Pour Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation Nationale,
Il semblerait que l’Éducation Nationale n’ait pas été informée de cette condamnation.
Oups. Vraiment, c’est ballot. Cela peut revenir à dire que la Justice ne fait pas son travail exactement comme elle le devrait. Ici, insérez immédiatement un petit couinement sur le manque de moyens, et vous brosserez un tableau assez réaliste. Il n’empêche qu’il semble assez peu complexe de faire savoir aux autorités de tutelles, après une telle condamnation d’un directeur d’école, que celui-ci ne peut plus occuper un autre poste qu’administratif, loin des enfants. Problème de fax ou e-mail défaillant ? Allez savoir.
Alternativement, difficile d’oublier que l’Éducation Nationale merdouille avec brio dans sa partie aussi. Mener quelques vérifications de base sur le personnel d’une institution censée assurer le bon développement des futurs citoyens est apparemment hors de portée de l’Éducation Nationale, qui a apparemment d’autres priorités avec les 63 milliards d’euros dont elle dispose annuellement. Pour le coup, le manque de moyen ne pourra servir d’excuse.
Et puis, n’écartons pas l’hypothèse, de plus en plus raisonnable, qui consiste à imaginer que ces deux institutions ont royalement merdé toutes les deux, de concert, bras-dessus, bras-dessous, et dans cette décontraction qui caractérise finalement ceux qui n’en ont absolument rien à carrer.
Ces éléments, on le comprend, forment la base de la réflexion de tout parent qui se demande maintenant dans la gueule de quel loup il envoie ses enfants. Seulement voilà : au-delà de ceux-ci et des constatations que quelques timides politiciens et discrets journalistes pourraient évoquer, il semble que tous, parents, politiciens, journalistes et responsables de l’Éducation Nationale compris oublient un peu vite un facteur déterminant de la situation actuelle.
En France, l’instruction est obligatoire, et la carte scolaire l’est finalement tout autant, aussi réformée soit-elle. Très concrètement, cette carte empêche les parents de choisir l’école de leur progéniture. Et toujours aussi concrètement, l’État a donc envoyé des enfants directement entre les mains d’un pédophile qui avait déjà été identifié comme tel.
Rassurez-vous là encore, tout ceci n’est au plus, toujours dans la bouche de la ministre, qu’un « dysfonctionnement » :
Il a été condamné en juin 2008, juste avant les vacances scolaires. À cette date, il avait obtenu un changement d’académie et il s’est aussitôt mis en congé parental, puis en arrêt maladie jusqu’en février 2011. Et quand il a repris ses fonctions, il a changé d’école tous les ans.
Sapristi, un petit dysfonctionnement, et voilà que depuis 2011, un condamné pour pédophilie va d’école en école sans que des vérifications de base soient effectuées à quelque moment que ce soit… À moins, bien sûr, que ces changements ne lui aient été imposés pour couvrir un comportement douteux ou des faits gênants – oh, qu’imaginez-vous là ? Eh bien disons qu’il est difficile, maintenant, de passer sous silence le fait que, depuis les révélations de la semaine dernière, les parents d’au moins quatorze victimes potentielles de plus se sont manifesté, venant de l’école où les faits ont été découverts mais aussi d’autres écoles où il a exercé ses fonctions – et potentiellement commis ses méfaits.
Sapristi, on dirait un chapelet de petits dysfonctionnements !
Au passage, difficile aussi d’oublier que son passé n’a été vérifié ni par l’Éducation Nationale, ni par le Parti Socialiste, pour lequel il avait été candidat aux municipales en février 2008 (quatre mois avant sa condamnation) et en juin 2014 (six ans après). Ni par le SNUIPP, syndicat enseignant de gauche dont il était adhérent et membre actif.
Les journaux se font fort discrets sur ces dernières informations. Pourtant, on imagine sans mal que s’il avait été encarté FN ou UMP, la charge informationnelle aurait été largement accrue. Et sans même vouloir jouer cette carte, on devra s’étonner qu’une personne avec un casier judiciaire puisse se présenter à un poste électif qui reviendra, de fait, à contrôler la vie des autres à un moment ou un autre.
Certes, de nos jours et avec la législorrhée dont le législateur est atteint, tout le monde est en fait un coupable qui s’ignore et un condamné en sursis. Mais justement : si un casier judiciaire strictement vierge était enfin nécessaire pour prétendre participer à une élection, on s’éviterait un sacré paquet de mafieux, de sociopathes et de tordus aux manettes de l’État… ou, pour revenir à notre cas, dans quelques écoles du pays. Indépendamment, il reste surprenant et inquiétant que le rectorat n’ait pas consulté le fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles, où il était inscrit et auquel le rectorat a accès.
Or, comme par hasard, ces vérifications sont jugées excessives par le syndicat enseignant UNSA :
On ne peut pas suspecter tous les enseignants ! Il ne faut pas sombrer dans l’excès.
Oui, ne sombrons pas dans l’excès de demander un casier vierge pour les fonctionnaires (pourtant, il me semblait que c’était le cas), l’excès de demander un casier vierge pour les candidats aux élections (cela ruinerait le paysage politique du pays), ou un casier vierge pour les enseignants (parce que, parce que bon, ce serait excessif, voyons, c’est un syndicat qui le dit).
Et puis, tant qu’on y est, maintenons l’instruction obligatoire et la carte scolaire. Déjà, elle marche très bien pour éviter la mixité sociale. On peut maintenant lui ajouter la vertu indirecte de conserver parfaitement employables auprès d’enfants des pédophiles condamnés : les parents, captifs du système, ne pourront jamais imaginer qu’il n’y a pas de vérifications de base, par une requête simple ou une notification automatique, que le personnel enseignant ne va pas contraindre des enfants à une fellation lors « d’ateliers du goût » (sic). C’est génial, non ?
On ne peut par ailleurs s’empêcher de noter un autre décalage pour le moins troublant. Alors que le législateur se montre si prompt à accroître la surveillance du web pour protéger les innocents enfants du dangereux pédophile qui rôde sur les tchats réservés aux moins de 12 ans, les contrôles les plus élémentaires ne sont tout simplement pas menés. Mais bon, il est normal que la surveillance de cet abominable espace de liberté qu’est Internet pour identifier d’hypothétiques menaces passe avant des vérifications de bon sens. Non ?
L’État veille, dit-on. Mais s’il le fait, c’est avant tout à se couvrir et couvrir les siens. Dans une chorégraphie méprisable, Justice et Éducation Nationale se renvoient donc la balle. Vite, une enquête est ouverte pour identifier et sanctionner les éventuels dysfonctionnements. Et bien sûr, on identifiera des mesures préventives pour que cela ne se reproduise pas, quand bien même, en réalité, elles sont toutes déjà là… à condition de les appliquer.
Pendant ce temps, dormez bien, braves gens : vos enfants sont entre de bonnes mains.
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