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La trêve hivernale des expulsions, obtenue par l’Abbé Pierre après l’hiver 1954, a démarré le 1er novembre dernier. Elle a protégé durant l’hiver les plus démunis, empêchant l’intervention de la force publique jusqu’au 31 mars à minuit. "Des milliers de personnes" vont se retrouver à la rue, disent les associations, car au même moment, les 8.000 places d’hébergement d’urgence ouvertes durant l’hiver pour les sans-abri vont progressivement fermer. Samedi, des centaines de personnes ont manifesté dans plusieurs villes contre cette situation. "On n’a jamais connu autant de jugements d’expulsion, ni autant de personnes sans abri", dit Jean-Baptiste Eyraud de l’association Droit au logement. 126.000 jugements d’expulsion ont été rendus en 2013, et 140.000 SDF recensés. François, 57 ans, est expulsable à partir du 17 avril de son petit appartement parisien qu’il loue €305 par mois. Mais depuis 2012, le bailleur social a triplé les charges mensuelles, qui atteignent €92. "Je suis au RSA, c’est impossible de payer". Pour Marion Lagaillarde, du Syndicat de la magistrature, seule "une part infime" de locataires menacés d’expulsion sont "indélicats". Ce sont "des gens qui ont un accident de vie". "Un simple frigo en rade, une maladie, ça fait un trou dans le paiement du loyer, impossible à rattraper", explique cette juge d’instance. A Maisons-Alfort, Francine, qui vit avec son mari et ses trois enfants dans 51 m2, est expulsable depuis que son propriétaire a décidé de vendre son appartement. Cette mère de 38 ans demande en vain un logement social. "Dans le privé ils demandent trois fois le loyer que je paye actuellement, €1.150. Avec mon mari, on gagne €2.500, c’est impossible", se désole-t-elle, "inquiète" de voir arriver "l’huissier et la police". La Chambre nationale des huissiers de justice recommande pourtant aux locataires défaillants "de se rapprocher le plus en amont possible de l’huissier" qui peut, dit-elle, aménager la dette, solliciter des aides, intervenir dans des démarches de relogement.
"Il n’y a pas de volonté politique de prévention des expulsions", regrette Benoit Fillippi, du Réseau Stop aux expulsions (Résel). Il rappelle que selon une circulaire de 2012, les préfets doivent informer les personnes menacées d’expulsion qu’elles peuvent recourir au droit au logement opposable (dalo), qui oblige l’Etat à trouver un logement social aux familles en difficulté. Mais "pas une seule lettre d’information" n’a été rédigé en Ile-de-France, rappelle t’il, estimant toutes ces expulsions "illégales". La Fondation Abbé Pierre souligne que sur l’ensemble des jugements d’expulsion, 12.760 ont abouti via la force publique, sans compter "les dizaines de milliers de familles" qui anticipent l’intervention policière et quittent leur logement d’elles-mêmes, en catimini ou sous la pression des propriétaires. C’est ce que subit Irène, gardienne d’immeuble menacée d’expulsion de la loge qu’elle occupe depuis 2005. Pour l’obliger à partir, ils lui "ont retiré la porte de la loge, la boîte aux lettres et la porte de la cave". "Je pense m’installer dans un box" de cave, confie t’elle. "Les expulsions c’est un drame humain", insiste Jean-Marie Bonnemayre, du Conseil national des associations familiales laïques (Cnafal). Pourtant, avec les conséquences sociales et psychologiques (placement des enfants, etc.), cela coûte plus cher à l’Etat d’expulser que de maintenir une famille dans son logement. Certaines familles se retrouvent à devoir solliciter le 115, numéro d’urgence pour SDF, déjà saturé. Et la situation risque d’empirer avec la fermeture des centres qui hébergeaient les sans-abri au coeur de l’hiver. Malgré la création de 2.000 places supplémentaires pérennes annoncées par la ministre du Logement Sylvia Pinel, "l’angoisse pour les sans-abri perdure", déplorent plusieurs associations (Emmaüs, Samu social de Paris, Aurore, etc), en réclamant "la mobilisation en urgence des immeubles et locaux vides".FG