« AH/HA », l’une des dernières créations de la danseuse et chorégraphe Lisbeth Gruwez, est à l’image de son titre : comme un grand cri, une secousse, un condensé d’énergie brute, une véritable claque pour le spectateur. Le rire est le point de départ de ce spectacle : celui qui habite nos corps, se propage d’une personne à l’autre, transforme nos visages ; le rire comme une force incontrôlable, joyeuse et sauvage.
AH/HA – Lisbeth Gruwez – Voetvolk 2015. Photo : © Michel PETIT
Cinq danseurs aux looks contrastés vont se mouvoir dans un décor vert, nous rappelant confusément l’écran devant lequel les acteurs tournent avant que l’on ajoute les effets spéciaux. Commençant par de lents mouvements presque imperceptibles, leurs corps se retrouvent bientôt pris de tremblements au même rythme qu’une musique robotique et syncopée. Ils traversent la scène de long en large, se croisent, s’effleurent, formant des groupes éphémères et mouvants, toujours pris de ces soubresauts incessants, qui seraient à la fois comme les derniers résidus d’un rire ou au contraire les prémices d’un rire naissant.
Difficile de comprendre exactement ce que l’on voit : cela ressemble parfois à une parade amoureuse ou à des tentatives de séductions mais cela se charge aussi de violence quand un seul danseur se retrouve isolé en bord de scène. Lisbeth Gruwez parle ainsi de ce qu’elle a voulu montrer :
« Il y a quelque chose de très humain dans le rire, il contamine. Le rire est comme un virus qui se propage et qui montre comment on devient un groupe, c’est visible. Mais c’est le groupe qui peut représenter une forme de « danger ». Rire seul c’est une chose, mais la connivence du rire en groupe peut être une menace pour les autres. » – Entretien avec Lisbeth Gruwez, propos recueillis par Aude Lavigne.
Les tremblements du corps des danseurs deviennent de plus en plus prégnants, comme une folie qui se serait emparée d’eux, les transformant en pantins désarticulés. Et quand ils se rejoignent finalement ensemble au centre de la scène, toujours pris de ces mouvements désordonnés, les yeux fermés, le souffle court, ils ressemblent à ces clubbeurs du samedi soir, ces festivaliers pris tout à la fois dans leur extase personnelle et une transe collective.
Surgit enfin le rire, le vrai, à gorge déployé, celui qui fait grimacer, qui secoue le corps en son entier. Se plier en deux, cacher son visage, battre des deux mains, taper ses cuisses, rejeter la tête en arrière : tout ce langage corporel est rejoué par les danseurs, en des gestes lents ou frénétiques. Entre la joie et la douleur, le doux et le monstrueux, l’enfantin et le sardonique, toute une palette d’émotions subtiles se dessinent sur leurs visages, dans leurs mouvements.
AH/HA – Lisbeth Gruwez – Voetvolk 2015. Photo : © Michel PETIT
Et quand le rire s’éteint enfin, laissant leurs corps exsangues, leur peau couverte de sueur, leur souffle court et bruyant, ils sont comme des amants après l’amour, des marathoniens en bout de course. Leurs gestes se font doux, délicats, ils s’accrochent les uns eux autres : comme pour se remettre du rire qui les a tant épuisé.
Véritable ode à la joie, bourrée d’énergie et d’intensité, d’une beauté étrange mais séduisante « AH/HA » est un spectacle qui nous poursuit longtemps, bien après la fin des applaudissements.
Emma Larretgère
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AH/HA de Lisbeth Gruwez
Prochain spectacle : Lisbeth Gruwez Dances Bob Dylan aux Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine Saint-Denis en juin 2015.
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