Après plusieurs années passées à monitorer leurs activités sur Cranes Records, le soir est venu de voir ce que The Dead Mantra livre sur scène et de mener, par la même occasion, un entretien un peu chaotique mais fort informatif axé sur la spiritualité et l’homo-érotisme. Concepts d’une proximité tacite.
Photo : Alice Morelli
J’ai cru comprendre que vous en avez un peu ras-le-cul qu’on qualifie votre musique de shoegaze point barre alors que sur des morceaux comme « It’s True Mental » ou « Holy Dawn », les structures se rapprochent plus du post-rock.
Bah en fait ça nous arrange un peu que les gens s’occupent de définir notre musique parce qu’on a un peu de mal à le faire… Après c’est sûr que les journalistes font parfois des raccourcis faciles ! Mais le truc le plus marrant, c’est que il y a quelques semaines, je rajoutais des infos sur la page facebook et pour déconner, j’ai mis « gregorian shoegaze » et depuis, tout le monde prend ça au premier degré alors que c’était une connerie!
[À tel point que le descriptif foireux figure sur l’affiche annonçant le concert du soir.]
Au final, on comprend pas trop pourquoi on nous qualifie de groupe de shoegaze parce que généralement, le shoegaze c’est plutôt « mou »…
Au final, le dénominateur commun de vos morceaux, c’est une voix hyper réverbée ensevelies sous des couches de guitares. Ce qui me donne envie de parler de votre musique comme de nappes spectrales aux penchants homo-érotiques. Ça vous plaît ?
Ahaha 9,5/10 ! Les touches homo-érotiques, c’est drôlement bien trouvé ! Je dirais que c’est une espèce d’expulsion de l’amitié à la fois virile et plein de fragilité et de tendresse.
Beh ouais en même temps, j’ai pas eu à creuser : la reprise de George Michael, le clip de Mxeico, l’artwork de « Path of Confusion »,…
Tu m’étonnes qu’on chope pas avec les Mantra !
Je vais pointer l’évidence mais depuis le deuxième EP, votre iconographie est devenue hyper mystique. Y a une raison là-dessous ?
Non pas vraiment… Enfin si, on aime bien les lieux de culte en général : églises, temples, …
On n’est pas croyant mais on a une certaine admiration pour les lieux de culte et tout ce qu’il s’est construit au niveau imagerie religieuse. Tout ce qui est édifices & vitraux, c’est fascinant, quand même !
D’ailleurs on (Paul & Thibault Nascimben) est allé à Solesmes écouter les moines chanter histoire de voir si on se méprenait pas et qu’en vrai, ils ne chantent pas « La Bite à Dudule ». Et sans être croyant, les voir chanter comme ça c’est d’une pureté et d’une puissance impressionnantes !
Évidemment, le fait de ne pas être croyant n’empêche d’avoir une certaine conception de la spiritualité.
Paul : Oui, pour moi ce serait une idée d’élévation. Enfin, si ça tombe je me goure totalement et en fait, on est censé descendre et pas s’élever !
Y a-t-il une chanson qui véhicule votre conception de la spiritualité ?
Pierre : « Soulless » représente plutôt bien ça !
Paul : La plupart des morceaux [de Nemure] sont des prières désespérées mais en dehors de nos compos, je trouve qu’il y a un truc très christique chez les Cure époque Pornography. On retrouve aussi ce côté prière triste. Alors que je trouve qu’il n’y a pas ça dans le shoegaze. J’ai pas l’impression que ce soit une musique très tournée vers le beau. Tout le monde dit que c’est un genre de musique très contemplatif mais je trouve que c’est une musique pour des gens qui ne contemplent rien. Je retrouve beaucoup plus ce côté mystique chez des groupes qui sortent du cadre du shoegaze et du post-punk comme par exemple Amen Ra ou Sunn O)))
Pierre : Et sinon aime bien Joe Dassin ! Genre les violons dans « Et si tu n’existais pas » sont célestes !
Et si vous montiez votre propre secte, ce serait quoi votre leitmotiv ?
Henri : Moi je voudrais du silence.
Paul : Ouais du silence comme dans les lieux cultes hors cérémonies.
Henri : Mais soyons clairs, pour nous, les stades foot sont aussi des lieus de culte ! Des lieux iconoclastes où on porte les idoles aux nues et où on les brûle tout aussi facilement.
C’est un peu déprimant comme conversation…
Et ça ne va pas s’arranger avec la question suivante ! Y aurait quoi sur votre playlist d’enterrement ?
Pierre : c’est marrant j’y ai pensé y a pas longtemps ! Je me suis toujours dit quand je mourrai, je veux que la musique qui passe soit quelque chose de joyeux. J’ai jamais voulu rajouter de la tristesse. Peut-être « Boys next doors – I mistake myself ».
Paul : Ah non moi j’aime bien le pathos, j’veux que ce soit triste ! Genre un truc bien pesant comme ça les gens qui viennent à mon enterrement en s’en battant les couilles beh je les forcerai quand même à pleurer ! Tu mets un morceau qui fait qu’ils seront obligés d’être tristes et toute leur vie, ils y repenseront !
Imaginez le cas où vous n’avez pas préparé de playlist et tes potes mettent une chanson qui selon eux te plaît …
Pierre : Oh putain, je craindrais le pire ! Le problème c’est que c’est pas mes potes qui vont choisir, c’est mes parents! Ma mère elle mettrait « A Bomb Baby » et je serais en train de pleurer dans ma tombe !
Paul : Ils mettraient Joe Dassin car on peut pas se tromper avec lui ! Nan sinon ma chanson préférée de tous les temps ça reste quand même « Climbing out the walls » de Radiohead. Si mes proches devaient choisir, ils mettraient Roland S. Howard car ils savent que je l’adore ! Allez du Roland S. Howard pour tout le monde! Henri, je te mettrai du Television parce que je t’aime !
Pierre : C’est un classique ! Et qu’est-ce qu’il est beau ! Louis il mettrait du Mars Volta mais moi limite, je mettrai un Franky goes to point-à-pitre comme ça tout le monde sort de l’église en souriant !
Paul : Ouais comme ça les gens commencent à zouker avec ton cercueil !
Henri : Beh moi je voudrais qu’il n’y ait pas de musique mais que des mecs habillés en noir avec des chaussures qui claquent qui portent mon cerceuil. Un truc bien carré.
Pierre : Un enterrement hitlérien quoi.
Et c’est sur ce point Godwin que se referme cette entrevue principalement constituée de blagues coupées au montage.
Le tout suivi d’un set assourdissant devant un public mi-crevard mi-lymphatique.
Tout comme leur album, leur prestation est homogène et témoigne d’une réelle identité sonore. Depuis le préambule instrumental jusqu’à « Soulless » qui signe un final éperdu, la réverb se fait pieuse et les guitares tantôt stridentes tantôt pondéreuses. L’intro de « Mxeico » révèle son potentiel pavlovien tandis que l’anticipation implosive des vociférations émaillant « They Call It Pain » activent les pulsions de jointures sur pommettes inconnues.
Au final, les Mantra sont parvenus à faire taire en moi l’inconfortable sensation d’être un coin de doritos dérivant dans un pot de salsa. Sensation inhérente au fait d’assister à un concert sur une putain de péniche.