la vieille folle et l'officier tête de mule

Publié le 29 mars 2015 par Dubruel

~~d'après LA FOLLE de Maupassant

Je m’en souviens comme d’hier : Il gelait à fendre les pierres. Les prussiens arrivaient. Leur colonel répartissait Ses hommes entre les habitants. J’en eus dix. Ma voisine, âgée et démente, en eut six Dont le commandant. On avait prévenu l’officier : -« Cette femme est folle à lier. Il y a douze ans, Elle eut un chagrin violent. Depuis, elle refuse de se lever. » Il n’en crut rien et pensait : Elle ne veut ni nous héberger Ni même nous parler. Il demanda à la voir. On le fit entrer : -« Che vous prierai, Matame, de fous lever. » Elle tourna vers lui des yeux délavés. -« Si fous ne fous levez bas de pon gré, C’est de force que che fous ferez Bromener temain. » Le lendemain, A folle refusa de s’habiller Et se mit à hurler. L’officier prussien s’exclama : -« Si fous ne foulez pas Vous hapiller, nous férons Ensemble une bétite excursion. » Et l’on vit sortir quatre soldats Soutenant la folle sur son matelas Comme s’ils transportaient un blessé. Et derrière le lit qui se balançait, Un lieutenant portait ses vêtements. Le cortège pénétra dans la forêt. Mais les Prussiens en ressortirent seuls. Où avaient-ils déposé l’aïeule ? On ne le sut jamais. La neige tombait. Les loups hurlaient. La pensée de cette vieille femme me hantait. Je fis des démarches auprès des autorités. En vain. Le printemps revint. La maison de la folle restait fermée. L’herbe poussait dru dans les allées. Mi-octobre, à la chasse, Je tuai une bécasse Qui disparut dans un fossé. J’allais la ramasser Quand je vis, gisant au sol, quelques ossements. Le souvenir de la folle me revenant En mémoire, Je compris avec horreur et désespoir Que les Prussiens l’avaient abandonnée. Les loups l’avaient dévorée Et dans la laine de son lit, Des oiseaux avaient fait leur nid