Xavier Dolan, 2014 (Canada)
Le soleil apparaît deux fois à l’image. Juste avant que « Mommy » n’apparaisse sur fond noir, dès la première scène, le soleil est associé à la mère. Ce sont les flous, les légères plongées ou contre-plongées, les coupes et le rythme des plans, la caméra qui embrasse les personnages, mouvements en cercle et contre-pied, qui nous paraissent esquisser en quelques secondes la complexité du portrait à venir (le terme « portrait » étant soutenu par le format carré).
Une façon de faire et des images qui à cet endroit se rapprochent de celles de Malick dans The tree of life (2011), la caméra à l’épaule en moins, mais comme elles capturant les rayons du soleil sur la tête de ses personnages (par exemple lorsque Jessica Chastain accueille un papillon sur la paume de sa main, mais également à plusieurs autres occasions). Dans cette scène de Mommy, Diane, la mère (Anne Dorval), cueille une pomme. On ne sait pas vraiment si ce début et la scène de l’accident qui vient ensuite (sous la pluie) s’inscrivent dans une continuité chronologique ou si, quand on la découvre, Diane a déjà emmené son fils à l’hôpital. Si on veut se faire une idée, il faut attendre une proposition faite à la fin du film par Diane à son amie : avant la course du gamin qui se jette par la fenêtre comme Nicholson dans Vol au-dessus d’un nid de coucou (Milos Forman, 1975), Diane fait allusion aux pommes de son jardin et à la tarte (ou au crumble) qu’elle pourrait préparer pour Kyla (Suzanne Clément) avant qu’elle ne la quitte. Cela ferait de la première scène du film le point de départ d’un flash-back, ainsi que l’évocation d’un paradis perdu, si l’on tient à tirer le plan vers l’allégorie biblique et si l’on accepte dans ce paradis atypique le caleçon d’un ado qui sèche et se balance au vent. En ce lieu agréablement baigné de soleil, et ici seulement, Diane est calme, apaisée. Ces plans introductifs peuvent aussi être interprétés comme un rêve, un souvenir lointain ou même la pensée furtive à laquelle Steve s’accroche peut-être avant sa dernière folie. Le début et la fin du film s’inscriraient alors dans une suite immédiate, deux moments très proches si ce n’est concomitants : la mère seule et le fils toujours fuyant, l’un et l’autre seul aux extrémités du film, séparés par des relations impossibles (durant les deux heures du métrage), l’un et l’autre liés malgré tout par ses mêmes relations.
Le soleil au-dessus de lui, Steve (Antoine-Olivier Pilon) roule, glisse presque, sur son longboard puis sur un chariot de centre commercial. La caméra l’accompagne et se déplace comme lui dans de beaux mouvements, libres et fluides. Il rentre chez lui avec un chariot volé, monte dessus et se tient en équilibre tout en avançant, comme il le fera plus tard au milieu de la route bloquant la circulation derrière lui et criant « Liberté ! », comme un William Wallace des périphéries québecoises (Braveheart, Gibson, 1995), ou plutôt comme DiCaprio lancerait son fameux « I’m the king of the world ! » à la proue du Titanic (Cameron en 1997). Les références (dont il se défend toujours) pourraient plomber mais tout est fait avec une audace et une simplicité mêlées. Effronté et sans crainte, Steve déborde de sentiments et de violence comme une casserole d’eau laissée trop longtemps sur le feu. Il cogne les portes et les murs, brise les vitres. Il se heurte à tous les cadres, notamment ceux dans lesquels le réalisateur l’enferme (cadres, sur-cadres et format carré de l’image). Alors forcément, quand Xavier Dolan décide que son personnage peut repousser les limites qui l’enserrent et élargir le format, on respire tout à coup avec Steve et on éprouve réellement un sentiment de liberté. Même si celui-ci est éphémère. Et à nouveau, sur les envolées mélodiques de Ludovico Einaudi, lorsque la promenade est trop belle pour ne pas cacher un piège à l’arrivée. C’est le dernier élan avant l’impasse définitive.
Un enchaînement de flous et d’ellipses, une vie tout entière rêvée qui nous a paru entrer en correspondance, les images autant que les émotions, avec celles déroulées dans Boyhood (Linklater, 2014) et Interstellar (Nolan, 2014). Cette kyrielle de moments insaisissables, ceux réfléchis par Diane alors qu’elle s’apprête à laisser son fils à d’autres, rappellent d’autres images troublées, trois plans rapides et distribués à des moments différents du film. Trois portraits inquiets. Si Dolan a pu présenter chacun à leur tour ses personnages baignés de soleil, il faut aussi considérer la position de l’astre. Ses rayons inondent l’image, mais le soleil est déjà bien bas dans le ciel. Une lumière d’or par devant le fond noir.
Dvd paru le 18 mars 2015 édité par TF1.
Critique Cinetrafic.
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