3 livres d'auteurs brésiliens contemporains #2

Publié le 27 mars 2015 par Charlotte @ulostcontrol_
Hello,
Dans le premier article de cette petite série, je vous proposais de découvrir trois livres d'auteurs brésiliens contemporains : Enfer de Patricia Melo, Moscow d'Edyr Augusto et Daytripper : au jour le jour de Fabio Moon & Gabriel Ba. Ils nous donnaient un premier aperçu de la littérature brésilienne en nous faisant voyager à travers Rio et la région du Pará et en abordant des thèmes caractéristiques de ce pays : les favelas, la violence, les légendes brésiliennes, la drogue,... Les trois nouveaux livres que je vous propose de découvrir aujourd'hui vont vous permettre d'approfondir ces thématiques, d'en découvrir de nouvelles, et de voyager encore un peu !
La Cité de Dieu, Paulo Lins

Paulo Lins a passé son enfance dans une favela de Rio de Janeiro. Pour écrire La Cité de Dieu, il a mené pendant plusieurs années des recherches sur le crime organisé dans les bidonvilles brésiliens. La publication du roman en 1997 a provoqué un électrochoc au Brésil, et le livre a été traduit en plusieurs langues. Son adaptation cinématographique par Fernando Meirelles, présentée au Festival de Cannes en mai 2002, est nommée aux oscars et aux Golden Globe.

On ne peut pas rester indifférent face au célèbre roman de Paulo Lins. Ce livre est le résultat de plusieurs années d'études sociologiques et ethnologiques de la part de l'auteur, qui s'est également nourri de sa propre expérience puisqu'il a grandi dans la favela la Cité de Dieu. C'est tout simplement le quotidien des habitants de cette favela que nous raconte ici Paulo Lins. Sans mettre aucun personnage en avant (personnages d'ailleurs fortement inspirés de la réalité et dont les noms ont du être changés), l'auteur nous raconte la misère, la violence, la haine et l'amour qui règne dans ces quartiers de fortune. La force et la puissance de ce témoignage sont d'autant plus flagrants qu'on sent que le regard de l'auteur est distant de la réalité qu'il raconte. Certains passages sont absolument horribles et donnent la nausée, d'autres m'ont laissée plus indifférente et certains, enfin, m'ont beaucoup touchée en me faisant comprendre que ces personnages, ces caïds n'étaient que des êtres humains à qui la favela avaient arraché leur humanité. Un romans aux faux airs de documentaire, profondément marquant et sanglant.
« Dans le temps, commentaient les habitants, seuls les pauvres, acculés par la misère, devenaient des bandits. Maintenant tout était différent, même les plus nantis de la favela, les jeunes étudiants, dont les parents étaient établis, avaient un bon travail, ne buvaient pas, ne battaient pas leur femme et n'avaient rien à voir avec le milieu du crime, cédaient à la fascination de la guerre. Ils faisaient la guéguerre pour des raisons futiles : un cerf-volant, une boule de billard, une rivalité amoureuse. Les territoires sous le contrôle des gangs devenaient de véritables places fortes, le quartier général des lieutenants, dont l'accès était réservé à très peu d'entre eux ; ceux qui ne le savaient pas se voyaient menacés d'une humiliation publique, au moment de la cogne, parce qu'ils habitaient sur le territoire d'un ennemi ou de l'autre ou qu'ils étaient amis d'un soldat de plomb qui était également un ennemi. De ce fait, la guerre pris de nouvelles dimensions, l'origine de la guerre n'existait déjà plus.» p.499-500 

Bleu corbeau, Adriana Lisboa

Après la mort de sa mère, Evangelina décide de quitter Rio pour les États-Unis, où elle est née treize ans auparavant, et d’y retrouver son père. En compagnie de Fernando, l’ex-mari de sa mère, et d’un petit voisin salvadorien, Carlos, elle recueille les souvenirs des autres pour organiser sa propre histoire. Au cours de ce voyage à travers le Colorado et le Nouveau-Mexique, en écoutant les récits de Fernando, qui a fait partie d’une guérilla maoïste en Amazonie dans les années 70, elle prend conscience du passé du Brésil. Dans un style sobre et élégant, Adriana Lisboa nous propose une réflexion sur l’appartenance et la construction de soi. Tous ses personnages sont en transit, ils habitent tous des lieux précaires, mouvants, parlent des langues qui ne sont pas les leurs, les mêlent. Elle raconte ces mémoires provisoires, faites de souffrance bien sûr mais aussi remplies d’amitiés sincères, et termine ce roman au moment où la vie de son héroïne commence vraiment, où elle occupe dans le monde un espace qui lui appartient.

Ce sont de nouveaux paysages et une nouvelle expérience du Brésil que nous propose Adriana Lisboa dans ce roman. Ici, pas de drogue, de prostitution, de favelas,... au contraire, on suit le quotidien d'une jeune adolescente qui vient de déménager dans le Colorado. Lorsque sa mère, brésilienne, meurt, Evangelina dit Vanja se lance sur les traces du père qu'elle n'a jamais connu. Petit à petit, elle va reconstituer son histoire, fouiller le passé de sa mère et celui des hommes qu'elle a connus. De Londres aux Etats-Unis en passant par le Brésil, on découvre petit à petit le passé souvent douloureux des adultes qui entourent Vanja. Le roman d'Adriana Lisboa nous rappelle ainsi que le Brésil ne se résume pas aux favelas et la violence mais est aussi marqué par la guérilla et l'immigration. L'auteur nous rappelle ainsi que la difficulté que l'on peut ressentir à se construire, à se définir et à trouver son identité n'a pas de frontière : elle est universelle. Comment se définissent les latinos-américains qui ont immigré aux Etats-Unis ? Quelles sont les différences entre les générations ? Dans une écriture à la fois calme, nonchalante et alourdie par les épreuves du passé, l'auteur revient sur l'histoire d'une génération et aborde le thème fondateur de la quête de l'identité pendant l'adolescence. Un roman tout en finesse et en délicatesse, qui touche et marque sans en avoir l'air.
« Pendant ce temps, les mollusques de la mer de Copacabana faisaient taire le monde dans leurs coquilles bleu corbeau. Et les corbeaux survolaient la ville de Lakewood, Colorado. Les corbeaux bleu coquillage. » p.43

Copacabana, Lobo & Odyr

Diana, une prostituée, se retrouve à la tête d’un gros paquet d’argent, quand sa copine de trottoir, qui est aussi son ex-mari disparait. Hélas, d’autres sont sur la piste de cet argent. Une fuite-enquête, dans un climat de violence et de misère. Un portrait sans concession du Brésil, mais pas sans espoir ni amour.

Prostituée dans la région de Copacabana, Diana vit dans l'angoisse de ne pas réunir assez d'argent pour payer ses dettes et en envoyer à sa mère. Le temps de quelques pages, on nous propulse dans son quotidien terrible et parfois pathétique, mais jamais présenté de manière tragique. Et lorsque l'une de ses magouilles tourne mal, elle se fait prendre dans un engrenage d'ennuis rythmé par des règlements de comptes en tous genres. Les dessins sont en noir et blanc, les planches sont chargées, le trait est épais et rend selon moi très bien compte de la misère et de l'univers sordide et moite dans lequel vit Diana. Avec son air de polar et de critique sociale, Copacabana nous propose un portrait authentique de la ville de Rio, sans fioriture et sans tendresse inutile. C'est la vérité, le quotidien sur fond d'aventure et de rêves d'ailleurs et de jours meilleurs que nous présentent ici Lobo & Odyr. Une belle bande-dessinée, débordante d'originalité, de chaleur et de misère.

J'espère que ce deuxième article vous aura plu ! Avec cette petite série, j'espère vous donner un aperçu général et pertinent de la littérature brésilienne, et vous donner envie d'aller plus loin dans la découverte de cette littérature. Le troisième article devrait arriver d'ici peu de temps et je vous promets de nouveau un beau dépaysement !