Protection de la biodiversité : les " moins " et les " plus " de la nouvelle loi

Publié le 26 mars 2015 par Bioaddict @bioaddict
La nouvelle loi sur la Biodiversité que vient de voter le Parlement Français va permettre de mieux protéger la Nature et les paysages. Mais l'adoption d'un statut pour les animaux sauvages a été cruellement oubliée. Et la " compensation écologique " ouvre la voie à l'exploitation financière de la Nature.

L'Assemblée nationale vient d'adopter ce mardi 24 mars 2015, à une large majorité, en première lecture, le projet de loi de Ségolène Royal pour " la reconquête de la Biodiversité, de la Nature et des Paysages ".

Cette loi prévoit un ensemble de mesures, attendues depuis de nombreuses années. Mais toutes ne sont pas favorables à la protection de la biodiversité.

LES " MOINS "

Pas de statut pour les animaux sauvages
Malgré le dépôt d'un amendement par les Députées Geneviève Gaillard (socialiste), et Laurence Abeille (Europe Écologie-Les Verts), la loi n'intègre pas la reconnaissance d'un statut pour les animaux sauvages. Ainsi, lorsqu'ils ne sont classés ni "chassables", ni "nuisibles", ni "protégés", ces animaux continueront à être considérés comme des "biens meubles ", des animaux auxquels la majorité des Députés dénie la capacité d'avoir de la sensibilité, et que l'on va donc pouvoir continuer à capturer, agresser, blesser, tuer, vendre ou acheter sans contrôle, ni sanctions. Seuls les atroces pièges à glu utilisés pour capturer les oiseaux seront interdits.

Des " compensations écologiques " aux effets pervers
Par ailleurs, sous couvert de responsabilisation des industriels de la construction et de l'aménagement, les députés ont intégré dans la loi des " obligations de compensation écologique " afin de les obliger à remplacer les terrains détruits en un lieu donné par une surface au moins équivalente à un autre endroit. La compensation devra ainsi " viser un objectif d'absence de perte nette, voire tendre vers un gain de biodiversité ".  A priori cela parait très bien. Mais en pratique peut-on raisonnablement penser qu'il est possible de compenser les dégâts que les aménagements feront subir à des zones ou la biodiversité, parfois unique au monde, existe depuis des millions d'années ? Comment et par qui va être fait l'inventaire et l'évaluation de la biodiversité sur les zones aménagées ?

En réalité cette mesure va non plus obliger les industriels concernés à d'abord préserver la Nature et les éco-systèmes, mais leur donner un véritable droit à la détruire en toute bonne conscience, puisqu'ils devront "compenser ".

Cette mesure va enfin nécessairement conduire à transformer la Nature en réserve d'actifs financiers pour permettre aux industriels concernés de les utiliser pour gérer " leurs obligations de compensation ". Des actifs naturels dont la valeur sera évaluée, cotée, et qui pourront être achetés, vendus, échangés... par des " opérateurs de compensation ", c'est-à-dire des organismes privés, banques de biodiversité et autres fonds d'investissement.
Le même montage, a priori, que celui appliqué pour les " compensations carbone ", lesquelles ont donné aux industriels un véritable droit à continuer à polluer et qui font aujourd'hui l'objet de multiples trafics.

LES " PLUS "

Création de l'Agence de la Biodiversité
Heureusement cette loi comporte des mesures positives et notamment la création, dès 2016, de l'Agence Française pour la Biodiversité qui sera parrainée par le scientifique Hubert Reeves, dont on connait l'honnêteté et l'intégrité.
Cette Agence regroupera plusieurs structures existantes et comptera 1.200 agents de quatre organismes : l'Office national de l'Eau et des Milieux aquatiques (Onema), l'Atelier technique des Espaces naturels, l'Agence des aires marines protégées et les Parcs nationaux.
Elle aura à effectuer des missions au service de la préservation des milieux naturels, de la connaissance, de la recherche et de la formation. Elle aura aussi des missions nouvelles comme le soutien aux filières innovantes dans les domaines du génie écologique et du biomimétisme. Ces filières pourront bénéficier de l'enveloppe " investissements d'avenir " d'un montant de 60 millions d'euros pour l'année 2015.

Finalisation des trames bleues et vertes
Les espaces naturels, la faune et la flore seront par ailleurs mieux protégés : les trames vertes et bleues seront finalisées avec les espaces de continuités écologiques permettant de les identifier et de les protéger dans les documents d'urbanisme.

Protection des espèces menacées
Des zones prioritaires pour la biodiversité seront créées pour éviter la disparition de certaines espèces en voie d'extinction. Sur ces zones certaines pratiques agricoles pourront être imposées, via des contrats rémunérés et des zones de conservation halieutique pour réglementer les activités incompatibles avec le bon état des frayères, nourriceries et couloirs de migration des espèces, en concertation avec les professionnels.

Protection des espèces marines
La protection d'espèces marines (cétacés, tortues et certains oiseaux) au large des côtes françaises, sur toute la zone économique exclusive et le plateau continental, au delà de la zone des 12 milles actuels, sera étendue.

Protection des haies
Les haies, les bosquets, les mares, les tourbières... seront préservés en développant, sur la base du volontariat, des engagements entre propriétaires et collectivités.

Biodiversité et lutte contre le réchauffement climatique
La biodiversité devient l'une des solutions pour lutter contre le changement climatique avec, pour la première fois, un programme territorialisé de protection de 55 000 hectares de mangrove, de 75 % des coraux. La loi prévoit par ailleurs le développement obligatoire des toitures végétalisées ou photovoltaïques dans les zones commerciales.

Lutte contre le braconnage
Les sanctions et l'efficacité des contrôles seront renforcées contre le braconnage et le trafic d'espèces protégées (éléphants, rhinocéros, grands singes).

Lutte contre la pollution des eaux maritimes
Une nouvelle réglementation des rejets des eaux de ballast en mer permettra par ailleurs de mieux lutter contre la pollution des eaux maritimes.

Le fonctionnement du Conservatoire du littoral et des rivages lacustres sera également " facilité ".

Les procédures seront mieux adaptées pour les 51 parcs naturels régionaux existants et les 20 projets qui pourront accueillir des communes dans leur périmètre, même après leur création.
Complémentarité des sites classés et des sites inscrits
Enfin la loi consacre la complémentarité des sites classés et des sites inscrits pour la protection des paysages les plus remarquables " pour que la France reste la première destination touristique mondiale et que la qualité de ses paysages soit un atout majeur de son attractivité ". Et elle va prolonger et conforter la loi de 1993 relative à la protection et à la mise en valeur des paysages.

Nous comptons beaucoup sur l'engagement d'Hubert Reeves pour voir toutes les bonnes mesures appliquées. Et les combats pour la reconnaissance du statut des animaux sauvages, et pour la préservation des zones aménagées vont devoir continuer...

Christina Vieira