Avant d’avoir été

Publié le 26 mars 2015 par Mentalo @lafillementalo

Elles planent à 15000, me dit ma chère amie, alors que nous devisons une fois de plus de nos filles chéries respectives.

Bien sûr, qu’elles planent. Bien sûr, qu’elles ne réalisent pas. La mienne n’a pas tout à fait quatorze ans. N’est-ce pas le plus bel âge ? Celui où on décide de faire un barbecue avec des copains dans le jardin un vingt-cinq mars alors qu’on est végétarienne et qu’il fait six degrés dehors. Celui où on oublie malencontreusement qu’on avait encore un devoir de français pour demain, et puis de ranger le jus d’orange dans le frigo, le verre et puis le paquet de biscuits, aussi.

L’âge où un mot de travers est la cause de larmes infinies, où un regard déclenche des fous-rires insondables, un texto des sauts de cabri à travers le salon des arabesques birkenstockiennes des renversements artistiques sur le canapé qui n’a rien demandé, des regards médusés de la fratrie, consternés des parents.

L’âge où on ne voit pas le problème, où les plans se tirent sur la comète, où tout est possible, du moins en théorie, du moins quand on l’échafaude dans la cour à la récréation. Des voyages improbables aux concerts improvisés. Des soirées pyjamas aux expéditions piscine. Des gâteaux au chocolat (mais pas la vaisselle!) aux balades à cheval. L’âge où on a toujours une longueur d’avance sur les idées farfelues et quelques-unes de retard sur le réveil, la montre, l’horaire du bus et l’horloge de l’église (tant de précautions valent mieux mais sont aussi inefficaces qu’une).

Alors bien sûr, nous leurs mères on souffle, on soupire, on s’agace, on lève les yeux au ciel, parce qu’on a oublié comment c’était, avant. Avant qu’on grandisse, avant qu’on paie des factures, qu’on passe le permis et qu’on soit responsable de vies, la nôtre et les leurs, et de la liste de courses et d’appeler le docteur, et puis le dentiste, et le lycée pour l’orientation, aussi. Avant qu’on ait oublié combien il est important de sentir le parfum des choses, avant qu’on pense à l’avenir plutôt que de vivre au présent.

O temps suspends ton vol et laisse les planer encore un instant, un instant de grâce et de légèreté, laisse les rêver encore avant qu’elles ne se brisent, laisse les être avant d’avoir été.