Magazine Culture

tout sur l'art du baiser

Publié le 26 mars 2015 par Dubruel

~~d'après LE BAISER de Maupassant

Donc ma chère mignonne, Tu pleures du matin au soir Parce que ton mari t’abandonne. Et tu me demandes conseil, À moi, une vieille ! Je n’en sais pas si long que tu peux croire. Mais je n’ignore pas tout dans l’art d’aimer Ou plutôt dans celui de se faire aimer. Tu me dis Que, pour ton mari, Tu n’as que caresses, attentions, Douceurs, baisers doux et longs… Le mal vient peut-être de là. Tu embrasses trop. Oui, c’est cela ! Tu embrasses trop ! L’homme exerce sa force physique, Avec une violence inique. La femme, douée pour le charme, Domine par le baiser. C’est son arme. Faut-il encore savoir l’utiliser. Si nous régnons En souveraines toutes-puissantes, Nous devons Montrer une diplomatie constante. Nous savons que l’amour est fort Comme la mort Mais il est aussi fragile qu’un lys. Le moindre choc le brise. Lors des étreintes, nous perdons en finesse. Nous nuançons insuffisamment nos caresses. Prends bien garde à cela, ma fille, C’est notre talon d’Achille. Notre vraie puissance : c’est le baiser. Le seul baiser ! Quand nous savons abandonner nos lèvres, Nous devenons reines, sorcières, orfèvres. Le baiser n’est qu’une préface pourtant, Un avant-propos charmant. C’est dans le baiser, Dans le doux baiser Qu’on sent les prémices de l’union. Quand nos bouches Se touchent, Nous goûtons à la plus divine des sensations Qui nous soit donnée de ressentir. C’est l’instant de la prime confusion De nos cœurs prêts à défaillir. Le baiser donne cette perception Immatérielle de deux êtres Ne faisant plus qu’un. Exquis bien-être ! Aucun délire de possession Ne vaut ce contact humide et frais. Il faut craindre d’émousser Notre arme la plus forte, le baiser. Sa valeur change suivant les circonstances, Les dispositions du moment et l’ambiance. Souvent les femmes cessent de s’imposer Par le seul abus de leurs baisers. Si ton mari est un peu las, L’obstination de tes lèvres tendues le lasse. Montre de la compréhension. Ne l’étreint pas sans rime ni raison. N’embrasse jamais ton mari En public, dans le train ou au restaurant. Se sentant ridicule, il t’en voudrait longtemps. C’est du plus mauvais goût ; Refoule ton envie. Méfie-toi aussi des baisers exaltés Prodigués dans l’intimité. Nous étions dans ton salon, tous trois (Vous ne vous gênez guère devant moi.) Ton mari te tenait sur ses genoux Et t’embrassait dans le cou. Soudain, tu as crié : -« Ce feu diminue ! » Il se leva. Vers lui, tu es venue Les lèvres mendiantes, et tu lui as dit : -« Embrasse-moi ! » Il soutenait trois grosses bûches péniblement Et toi, Tu as posé lentement Ta bouche sur la sienne. Il demeura debout à grand peine, Les reins tordus, Les bras rompus …Et toi, tu t’éternisais. Puis quand tu l’as laissé, Tu lui as lâché d’un air froissé : -« Tu ne sais donc plus embrasser ? » Parbleu, ma chérie ! Oh ! Prends garde à ceci. Nous avons toutes la sotte manie D’étreindre à des moments mal choisis : Quand Il enfile ses bottes, Quand Il noue sa cravate, Quand Il perd une partie de belotte, Quand, au piano, Il déchiffre une sonate… Ne juge pas mon babillage insignifiant. Tu sais, l’amour est évanescent. Un rien peut le briser. Tout dépend de nos baisers. Un baiser maladroit peut faire bien du mal. Ta vieille grand-mère, Jeanne Bonal.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Dubruel 73 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog

Magazine