Note : 2/5
Sudabeh Mortezai est une réalisatrice autrichienne de documentaires. L’immigration est au coeur de son oeuvre et de sa vie : à douze ans, elle quitte l’Iran avec sa famille pour s’installer en Autriche. Le petit homme, sa première fiction, semble donc être le prolongement naturel de sa carrière, habitée d’une certaine tension autobiographique.
© Memento Films Distribution
Dans un camp de réfugiés de la banlieue viennoise, appelé Macondo, Ramassan, un petit garçon, vit avec sa mère et ses deux petites soeurs. Le père de famille, lui, est mort en Tchétchénie, les forçant à fuir vers l’Autriche. Le petit homme, c’est Ramassan, perdu quelque part entre l’insouciance de l’enfance et la volonté d’être un homme pour sa famille. Issa, un ami de son père, va remettre en cause la place qu’il aimerait occuper.
Avec Le petit homme, Sudabeh Mortezai a choisi de mêler documentaire et fiction. Une telle médiation est-elle possible ?
Ramassan : le stéréotype de l’enfant rebelle
Ramassan a onze ans mais essaie de prendre la place de son père, mort en Tchétchénie. Sa mère, à cause de son travail, lui confie beaucoup de responsabilités. Il doit faire les courses et s’occuper de ses soeurs. De plus, Aminat a besoin de lui pour lui traduire l’allemand. La contradiction entre son âge et les responsabilités qu’il porte fait qu’il développe des sentiments confus. Quand Issa, l’ami de son père, est de plus en plus intégré dans sa famille, Ramassan est jaloux, comme s’il était le fils et le mari à la fois.
Le petit homme se focalise sur le conflit qui s’installe entre Ramassan et Issa. Tantôt enfant, le petit garçon suit partout l’ami de son père, tantôt homme avant l’âge, il le surveille, le questionne et en vient à le détester. La complexité du personnage retombe pourtant assez rapidement. Dans la première moitié du film, il est un enfant exemplaire et dévoué à sa mère. Dans la seconde moitié, Ramassan apparaît comme le stéréotype de l’enfant rebelle, cherchant à déconstruire toute l’éducation morale qu’on lui inculque. Le schéma binaire est manichéen puisqu’il développe deux extrêmes, l’un en simple réaction à l’autre.
Ramassan oscille entre deux âges mais aussi entre deux points de vue d’écriture. Il n’est pas vraiment un personnage de fiction palpable puisqu’il n’est envisagé que comme un système de construction et de déconstruction. Il n’est pas non plus le sujet d’un documentaire portant sur l’immigration tchétchène, car son attitude est stéréotypée, universalisant ses actions à celles de n’importe quel enfant, sans qu’elles soient spécifiquement liées à son identité.
Un film politique et social ?
Filmer le camp en revient à filmer le quotidien des réfugiés qui l’occupent. En resserrant l’écriture autour d’un seul noyau familial, le scénario opère naturellement une hiérarchisation, faisant des individus extérieurs à ce cercle de simples éléments de contextualisation. De surcroît, le personnage principal, Ramassan, ne porte pas le sujet politique censé être au centre du film : l’immigration. À force d’essayer d’éviter les stéréotypes habituels de la victimisation, le film tombe dans le défaut inverse, reléguant le sujet – en principe majeur – au second plan. Quand bien même le film livre un récit réaliste, il ne traite vraisemblablement que de l’enfance et ses problématiques, sans incidence de l’immigration. La fiction l’emporte sur le documentaire.
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Le seul personnage à amener clairement la problématique de l’immigration est celui de la mère de Ramassan : Aminat. Là aussi, Le petit homme tente de ne pas tomber dans la caricature, pour ne pas faire d’Aminat une victime. Elle travaille, tente d’obtenir l’asile politique et essaie même d’apprendre davantage l’allemand qu’elle parle mal. Néanmoins, ces trois actions se résument à quelques scènes dessinant les traits du personnage, sans esquisser une quelconque profondeur psychologique.
Bien entendu, elle est en décalage avec le monde dans lequel elle évolue, aucune réaction particulière n’est attendue de sa part. Même si elle ne crée a priori aucune identification chez le spectateur, aucune identification n’est non plus attendue du point de vue documentariste. Cependant, Le petit homme suit une courbe linéaire, marquée par la répétition de certaines scènes, particulièrement celles concernant Aminat. On la voit plusieurs fois à son travail ou à son cours particulier d’allemand. Ces scènes s’envisagent par la répétition puisqu’elles ne proposent pas de progression. Le quotidien est feint par la répétition, faisant une fois de plus que la fiction l’emporte sur le documentaire.
En somme, on ne peut présenter Le petit homme comme une enquête politique ou sociale. D’une part, les questions que posent l’immigration sont soit absentes, soit elles ne supposent aucune réflexion ni réponse. D’autre part, les personnages n’ont pas d’objectifs ou d’obstacles prégnants. Ils sont immigrés mais le danger qui pèse sur eux ne se ressent presque pas. Finalement, on oublie assez rapidement que le film se situe dans un camp de réfugiés.
© Memento Films Distribution
Les partis pris de Sudabeh Mortezai, tout à fait louables, n’aboutissent pas vraiment. La fiction sombre dans un manichéisme défaisant la complexité du personnage principal, tandis que la volonté documentariste ne place jamais au premier plan le sujet de l’immigration. En soi, les deux points de vue semblent inconciliables à tel point qu’ils créent une oeuvre bicéphale, où le spectateur ne sait quel regard suivre.
Jean-Baptiste Colas-Gillot
Film en salles le 25 mars 2015