On découvre Anita, une bourgeoise à la retraite, drôle à force de fonder sa vie sur des leurres. Je me suis attachée à ce personnage, trop d’ailleurs, j’ai été frustrée de quitter ses pensées. J’ai adoré résider dans sa tête où la candeur fraye avec la peur. Sa peur de l’inconnu. Elle nous fait réaliser jusqu’à quel point une bourgeoise craint le changement, la moindre fluctuation dans son univers aseptisé.
Deuxième personnage : Noureddine. C’est un adolescent délinquant qui tente d’étudier le soir, malgré ses conditions de vie précaires et sa famille dysfonctionnelle. Personne ne lui a jamais donné sa chance. Troisième personnage : Nathalie, la voisine d’Anita. Une mère qui se croit heureuse en ménage jusqu’à ce qu’elle découvre la trahison de son mari. Le quatrième est Simon, le beau-frère d’Anita, un homme défiguré par un accident. Anita ressent une inexplicable sympathie vis-à-vis lui, probablement par reconnaissance d’un être qui vit, comme elle, seul sur son île.
L’auteure a donné à tour de rôle le micro à chacun des quatre personnages. Ils sont ou seront liés, ce qui est à découvrir. Absolument à découvrir. Je l’ai dit, Anita reste ma préférée, malgré ma sympathie pour les trois autres. Sa vulnérabilité en fait un personnage presque risible. Et puis, elle est en crise. Le drame qui vient de bouleverser sa vie ; apprendre que son fils, qu’elle plaçait sur un piédestal est homosexuel.
Noureddine est tout un numéro ! Il ne se plaint pas de sa vie qu’il a pourtant très dure. Il fait connaissance avec Anita qui endosse auprès de lui un rôle d’aide au devoir. Il verra en elle une compagne de mauvais sort. Grâce à son apport, il entrevoit qu’apprendre peut être intéressant. Il lui en sera éternellement reconnaissant, et cette loyauté le mènera loin ! Nathalie arrive dans le duo Anita/Noureddine comme un cheveu sur la soupe. Sa vie est en crise, autant que celle d’Anita. Noureddine se retrouve entre les deux. Arrivera Simon qui viendra supporter le trio.
Il faut savoir qu’en changeant de voix narrative, Geneviève Damas change de style, de ton, de langage, même de son de voix (que j'ai imaginé !). J’ai éprouvé de la difficulté à partir avec Noureddine, son langage chantant et son argot prononcé m'a projeté sur une ligne d'horizon opposée à celui d’Anita.
Nathalie est peu typée, on reconnait le talent de l'auteure de nous y intéresser à part égale avec Anita et Noureddine. Mais son drame touche. Beaucoup. Peut-être parce qu’elle est une victime assumée et qu’elle vit son désarroi en pleine conscience. Simon est le personnage mystérieux, le plus solide, je pourrais même dire, le sauveur.
Imaginez-vous cet amalgame de personnages différents qui finissent par danser ensemble ! Et pas nécessaire de seulement l’imaginer, vous pouvez le vivre, le lire, c’est à votre portée.
J’ai aimé ce roman lumineux qui débutent dans les entrailles du terre-à-terre pour viser plus haut. L’évolution des relations se déroulent rapidement en restant crédible. Un tour de force. La drôlerie de cette histoire est de nous faire avaler la vulnérabilité de la bourgeoisie !