Il dort. Elle peine à croire ce qu’on lui a raconté. Il a un regard clair, de la couleur du ciel, un sourire d’ange. On a dû répondre à tous ses caprices, jamais dû lui refuser quoi que ce soit.
Pour la énième fois, elle pose son livre. Elle reste de longs moments à le regarder. Lorsqu’il dort, qu’elle ne voit ni son regard ni son sourire, elle parvient presque à imaginer ce qu’on lui a raconté. Alors, elle le hait. Pour le regretter aussitôt. Qui est-elle pour juger ? Depuis son arrivée, elle passe de la haine à la compassion, de la compassion à la haine. Elle dort mal, les jours lui paraissent longs, elle est tiraillée entre ses sentiments contraires.
Il est vieux. Il ne risque plus de causer de tort. Elle se dit aussi que ses victimes ont depuis longtemps réorganisé leur vie, cherché à oublier. Non, remuer le passé n’est pas la solution. Mais quand même. Ces doutes à son propos. Ce que cela soulève en elle.
On l’a chargée de veiller sur lui. Rien de plus. Ses supérieurs ont été clairs : le vieux doit terminer sa vie dans le calme, à l’abri du monde et des remous. Elle scrute le visage endormi. Les traits sont fins, encore beaux. Il a été bel homme. Elle pince les lèvres, s’oblige à inspirer. Si jamais ce qu’on raconte est vrai ! Et qu’on l’a caché ! Protégé !
Parfois, elle ferme à demi les yeux, comme si cela pouvait permettre de voir au-delà du physique, de pénétrer l’esprit de l’homme endormi, d’accéder à ses secrets. Être certaine qu’il regrette lui rendrait ça plus facile, songe-t-elle. Il a un sommeil agité. Peut-être est-ce la confirmation qu’on lui a dit vrai. Peut-être craint-il la mort ? Il est amaigri. Silencieux. Un agneau entre ses mains. Elle a toujours obéi sans poser de questions. Aujourd’hui elle s’en sent capable. Trop de doutes en elle. Il a été le loup dans la bergerie. Cette pensée ne la quitte pas.
Elle baisse les yeux sur son livre. Elle est honteuse. Ce qu’elle ressent l’effraie. Elle se croyait incapable de haïr.
![Le Loup, une nouvelle de Dany Tremblay… chat qui louche maykan alain gagnon francophonie](http://media.paperblog.fr/i/754/7543992/loup-nouvelle-dany-tremblay-L-rpxtQY.jpeg)
Dehors, le jour décline. Elle se lève, se rend fermer les rideaux. Lorsqu’elle revient vers le lit, leurs regards se croisent. Elle ne baissera pas les yeux, pas cette fois. Se trouver à proximité de cet homme l’a transformée. Elle doute maintenant de sa foi, le pardon lui sera impossible. Depuis qu’il l’a touchée, lorsqu’elle le regarde, elle voit derrière lui ses victimes, filles et garçons confondus, de tous âges, qu’il a forcés à s’agenouiller devant lui.
Il n’a pas l’intention de soutenir ce regard dans lequel il ne lit rien. Il n’a pas envie d’un affrontement avec elle. S’il était encore jeune, toujours en position d’autorité, elle y serait passée comme les autres. Cette pensée est sa victoire sur elle, sur son regard qui le fusille. Il ferme les yeux. Elle ne sera plus jamais tranquille, tiraillée entre sa haine pour lui et les vœux qu’elle a prononcés.
Dans le grand lit, il sourit.
Notice biographique
![Le Loup, une nouvelle de Dany Tremblay… chat qui louche maykan alain gagnon francophonie](http://media.paperblog.fr/i/754/7543992/loup-nouvelle-dany-tremblay-L-xHop9U.jpeg)
À ce jour, elle a publié des nouvelles dans plusieurs revues au Québec, a coécrit avec Michel Dufour Allégories : amour de soi amour de l’autre publié en 2006 chez JCL et Miroirs aux alouettes, roman-nouvelles, publié en 2008 chez les Équinoxes, ouvrage auquel a participé Martial Ouellet. En 2009 et 2010, elle fera paraître successivement, aux Éditions de la Grenouille Bleue, deux recueils de nouvelles : Tous les chemins mènent à l’ombre (Prix récit : Salon du Livre du SLSJ en 2010) et Le musée des choses. En mai de cette année, elle a publié aux éditions JCL un récit témoignage : Un sein en moins ! Et après…