En septembre 2012, la France découvrait, heureuse et rebondie, qu’elle entrait d’un pied ferme dans le XXIème siècle en se dotant – enfin ! – d’une infrastructure informatique digne de ce nom. Magie de l’État Stratège qui planifie, organise et décide avec brio et moult succès des grandes orientations du pays : un ensemble de « clouds » souverains étaient nés. Trois ans sont passés. Comme prévu, c’est un échec.
Avant d’aller plus loin, rappelons le principe du « cloud computing », qui est l’exploitation de la puissance de calcul ou de stockage de serveurs informatiques distants, loués à la demande, par l’intermédiaire d’un réseau. Côté infrastructure, construire un « cloud » revient donc à mettre en place ces serveurs, la bande-passante d’accès, leur puissance de calcul ou leur capacité de stockage, et à les offrir sur le marché.
Ainsi donc, alors que 2012 venait à peine de voir Hollande accéder à un poste dont on comprenait tout de suite qu’il était taillé pour, Orange et Thales d’un côté et Bull et SFR de l’autre se lançaient dans l’aventure palpitante d’un bon gros cloud à la française… Cloudwatt et Numergy, voilà qui allait envoyer du steak, cogner du chaton mignon et faire courir du poney, c’était même écrit d’avance.
Dès le départ, l’État avait choisi d’aider Bull, la petite PME, et SFR, la jeune start-up dans le domaine tout nouveau, tout beau, tout chaud du Cloud Computing, sans oublier Orange, le petit artisan des télécoms et Thales, une micro-entreprise spécialisée dans l’informatique de proximité. On le comprend : ces petites entreprises avaient grand besoin de l’intervention publique et des douzaines de millions d’euros du contribuable forcément d’accord, injectés avec force publicité dans ce projet de nuage informatique, et alors même que le marché, en 2012, était déjà passablement occupé par quelques petites sociétés comme IBM, Dell, Microsoft, Amazon ou Oracle.
Le but était aussi simple qu’idiot et donc parfait pour y engouffrer une quantité invraisemblable de pognon public : disposer, en France, d’une infrastructure française, avec des acteurs français, pour s’assurer de la bonne sécurité des données (françaises) qu’on y stocke. En effet, les acteurs majeurs du « cloud » étaient (et sont toujours) étrangers – et plus spécifiquement américains – donc sujets à l’espionnage de la NSA. Et comme la notion même de « cloud » est à la mode, il n’est pas envisageable que les administrations françaises puissent s’en passer. Gérer, par elles-mêmes, leurs propres centres de calcul a donc été soigneusement écarté (ce qui, lorsqu’on voit les performances étatiques en la matière, était peut-être sage ?) au profit de la solution bâtarde où le capitalisme de connivence peut enfin rugir de plaisir.
Et comme dans toute application du capitalisme de connivence où chaque acteur privé tente de récupérer un maximum de galette publique en fournissant un minimum de prestation, il n’a pas fallu très longtemps (un peu plus de deux ans, donc) pour aboutir à un bon gros Fail des familles. En français, c’est un échec.
Et question Fail, pardon échec, tous les ingrédients étaient réunis : dès le départ, on sentait la patte du capitalisme de connivence avec des entreprises choisies sur le volet pour leurs habituelles passerelles avec les coulisses du pouvoir (par exemple, ni Free, ni OVH, ni les autres acteurs crédibles du domaine en France n’ont été consultés).
Question capitalisme de connivence, il faut lire attentivement le petit historique qui est fait de l’effarante histoire du « cloudàlafrançaise » dans un récent article des Echos, qui mentionne notamment que le projet initial consistait surtout à développer l’ingénierie logicielle autour du concept, mais que, alléchés par l’odeur du pognon gratuit, les grosses sociétés habituelles s’étaient rapidement rapprochées de la tentative pour la détourner complètement à leur profit, avec le résultat qu’on sait.
L’histoire, bien sûr, ne peut s’arrêter là.
En plus de ce détournement de concept en plein vol, l’État a procédé avec son habituel manque complet de discernement … et de courage.
Incapable de prendre une décision ferme devant les choix qui s’offraient à lui et de choisir clairement un cloud en particulier, il a donc décidé d’investir dans deux clouds, concurrents de surcroît, Numergy et Cloudwatt, à hauteur de 75 millions d’euros chacun, via la CDC.
L’histoire, bien sûr, ne peut s’arrêter là.
À ces connivences habituelles, à ce manque de courage débouchant sur une concurrence parfaitement contre-productive, il faut ajouter des prévisions de chiffre d’affaire fantaisistes. Apparemment, les spécialistes du secteur ont débordé d’optimisme, et les 200 millions d’euros de chiffre d’affaire ne seront pas au rendez-vous en 2017. Oh. Zut alors. Selon Philippe Tavernier, le PDG de Numergy,
« On a fait l’erreur de penser que le cloud public (la sous-traitance à un tiers) dominerait. Or c’est le cloud privé (quand les entreprises rationalisent leurs serveurs en interne) qui a pour l’instant la préférence des entreprises. »
C’est ballot. Surtout quand c’est avec l’argent des autres.
L’histoire, bien sûr, ne peut s’arrêter là.
À la suite de ces résultats particulièrement encourageants ahem broum bref, on apprend que le rachat complet de Cloudwatt par Orange est maintenant réalisé et que les 33% qui appartenaient encore à la CDC (donc à l’Etat, donc à vous) ont été cédés à la société française. Bien sûr, le prix de ce rachat est confidentiel, et c’est probablement parce que tout est normal, que l’État a fait un gros bénéfice et que le contribuable est largement remboursé de sa mise de départ, ahem broum bref là encore.
L’histoire, bien sûr, ne peut s’arrêter là.
Comme le cloud, ce n’est plus vraiment ça, comme en plus, les participations de l’État diminuent d’un coup avec les rachats par les acteurs majeurs du secteur, Bercy aurait pris la décision de stopper les frais. Ouf, le contribuable, déjà passablement tabassé par cette histoire, respire un peu. Or, sur les 150 millions dévolus à ces deux projets, une grosse moitié n’aurait pas encore été versée. Le ministère en charge du numérique aurait d’ailleurs fait savoir que cette coquette somme sera donc réaffectée à d’autres projets, les idées idiotes lumineuses pour les dépenser ne manquant absolument pas.
Malheureusement (et là, le contribuable se reprend un pain dans la boîte à sucettes), le PDG de Numergy réfute cette affirmation en précisant continuer à être financé. Apparemment, le reste de la somme sera bel et bien dépensé pour ce cloud qui n’est plus ni souverain, ni public, ni même nécessaire ou réclamé, qui fait des pertes et dont les perspectives économiques sont pour le moins difficiles à estimer. Forcément, ça va marcher.
En 2012, j’annonçais que cette idée aboutirait, comme le Plan Calcul et tant d’autres précédents bricolages improbables de l’État, à un magnifique capotage en rase campagne, avec facture salée adressée aux contribuables dans un grand sourire niais. Nous sommes en 2015, le ratage est déjà magistral.
Mais rassurez-vous : l’histoire, bien sûr, ne peut s’arrêter là…
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