Les chercheurs Fabien Expert et Franck Ruffier se sont donc inspirés des insectes ailés pour créer BeeRotor : un robot volant captif1 capable pour la première fois d’ajuster sa vitesse et de suivre le terrain sans accéléromètre ni mesure de vitesse et d’altitude. Avec ses 80 grammes et ses 47 centimètres de long, il évite tout seul des obstacles verticaux dans un tunnel dont les parois sont en mouvement. Pour cela, les chercheurs ont mimé l’aptitude des insectes à se servir du défilement du paysage lors de leurs déplacements. On parle de flux optique, dont le principe s’observe facilement en voiture : sur l’autoroute le monde devant nous est assez stable, mais dès que l’on regarde sur les côtés, le paysage défile de plus en plus vite, jusqu’à atteindre un maximum à un angle de 90 degrés par rapport à la trajectoire du véhicule.
Pour mesurer le flux optique, BeeRotor est équipé de seulement 24 photodiodes (ou pixels) réparties sur le bas et sur le haut de son œil. Cela lui permet de détecter les contrastes de l’environnement et leurs mouvements. Comme chez l’insecte, la vitesse de passage d’un élément du décor d’un pixel à l’autre va livrer la vitesse angulaire de défilement. Lorsque le défilement augmente, c’est que la vitesse du robot augmente ou que la distance par rapport aux obstacles diminue.
En guise de cerveau, BeeRotor dispose de trois boucles de rétroaction2, comme autant de réflexes qui utilisent directement le flux optique. La première lui fait changer son altitude pour suivre le plancher ou le plafond. La seconde gère la vitesse du robot pour l’adapter à l’encombrement du tunnel dans lequel il navigue. Avec la dernière boucle, l’œil se stabilise par rapport à la pente locale grâce à un moteur dédié. Cela permet au robot de toujours obtenir le meilleur champ de vision possible, indépendamment de son degré de tangage. BeeRotor évite alors des obstacles très pentus (cf. vidéo) sans accéléromètre ni mesure de vitesse et d’altitude. Cette technologie a fait l’objet d’un dépôt de brevet fin 2013.
BeeRotor propose ainsi une nouvelle hypothèse biologiquement plausible pour expliquer comment les insectes volent sans accéléromètre : les insectes ailés pourraient utiliser les indices du flux optique pour se stabiliser, grâce à des boucles de rétroaction similaires à celles du robot.
Il existe également des applications industrielles à cette première mondiale. Les accéléromètres, et donc les centrales inertielles3qui les contiennent, sont trop lourds et encombrants pour les robots de toute petite taille. Avec une masse de l’ordre du gramme, ils ne conviennent pas à ces engins d’une dizaine de grammes qui pourraient être utilisés, par exemple, pour inspecter les tuyauteries. Cette quête de la légèreté se retrouve également dans l’industrie spatiale, où chaque kilo envoyé hors de notre atmosphère a un coût considérable. Sans forcément remplacer les accéléromètres, des capteurs de flux optique pourraient servir de système de secours ultra léger en cas de défaillance sur des missions spatiales4.
Notes :
1 Le robot, libre selon 3 degré de liberté (tangage, élévation, avance), vole autour d’un axe auquel il est attaché par un bras, entraîné par le robot lui-même (voir la vidéo).
2 Une boucle de rétroaction utilise la sortie d’un procédé, ici en flux optique, pour en calculer les entrées, ici les vitesses de chacun des rotors. On parle ici de boucle de rétroaction négative, qui amortit les variations du flux optique.
3 La centrale inertielle est un instrument utilisé en navigation, capable de traiter les mesures du mouvement d’un engin (accélération et vitesse angulaire) pour estimer son orientation (angles de roulis, de tangage et de cap).
4 Un aspect traité partiellement dans cet article sous presse : Sub-optimal Lunar Landing GNC using Non-gimbaled Bio-inspired Optic Flow Sensors , G. Sabiron, T. Raharijaona, L. Burlion, E. Kervendal, E. Bornschlegl and F. Ruffier, IEEE TAES, 201
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