Jadis, en France, tout ce qui n’était pas interdit par la loi était considéré comme autorisé. Heureusement, depuis, le législateur, les sociologues – philosophes – experts, les journalistes, les politiciens et les associations lucratives sans but se sont un peu secoués, et ont décidé que tout ce qui n’est pas expressément interdit par la loi se doit d’être codifié et, éventuellement, taxé. Sinon, c’est rapidement la porte ouverte à toutes les fenêtres, ce qui tournerait à l’auberge espagnole. Et si, dans la foulée, cela permet d’asseoir quelques corporatismes et de transvaser « automagiquement » des thunes de la poche de contribuables d’innocentes victimes vers quelques « happy fews », pourquoi se priver ?
Dès lors, une fois posé ce cadre indispensable, on peut décemment s’attaquer à tout et n’importe quoi. Surtout n’importe quoi.
Il y a quelques mois, un peu consterné de voir jusqu’où se nichaient les petits doigts de certains pour s’occuper de la vie des autres, je relatais les délires bureaucratiques qui s’emparaient doucement mais sûrement de la randonnée en France. Car oui, marcher sur les chemins de ce pays ne s’improvise pas : si, pour le profane, la randonnée consiste essentiellement à marcher du point A au point B en suivant un itinéraire et en prenant l’occasionnelle photo, pour la Puissance Publique, la rando, c’est du sérieux calibré, normé, millimétré et diplômé, qui ne se fait pas sur un coin de table, surtout pas aussi simplement que dans un groupe d’amis et sans prévenir. Rappelez-vous : il faut faire attention à l’environnement parce qu’il peut vous attaquer de toutes parts, notamment depuis un guichet.
Pour une autre discipline, on trouvera un autre motif, mais on procédera, finalement, de la même façon.
Prenez l’athlétisme, et plus spécifiquement, la course (i.e. la course à pied, qui consiste à trotter plus ou moins vite et avec plus ou moins de grâce sur un terrain plus ou moins boueux, avec un short plus ou moins ridicule, un t-shirt aux couleurs plus ou moins vives et des chaussures franchement fluo). On pourrait croire qu’une telle activité, bien connue, bien organisée depuis des lustres, ne puisse pas vraiment déclencher de batailles législatives homériques ou même l’un de ces lobbyings effrénés qu’on observe pour d’autres sports, plus médiatiques, ou d’autres secteurs, brassant bien plus d’argent…
Il n’en est rien.
Comme courir d’un point A à un point B peut engendrer des frais (notamment pour ceux qui organisent le point A, le point B et tous les points entre), comme il s’agit d’une activité qui intéresse tout de même plusieurs millions de Français, il ne pouvait pas se passer trop de temps sans qu’au moins une personne n’y trouve à redire et ne vienne chouiner devant le gouvernement pour qu’enfin soit remis en ordre toute cette intenable improvisation, ce vide juridique et ces organisations sauvages hors du giron douillet de l’État-maman.
C’est donc assez naturellement que Bernard Amsalem, l’actuel président de la Fédération Française d’Athlétisme et auto-investi de l’immense responsabilité d’aller voir le gouvernement pour mettre un terme à cette situation intenable, a décidé que la fédération française allait prélever une partie des droits d’inscription acquittés par chaque coureur, sur chaque course, y compris hors stade et hors de la Fédération. En effet, aux yeux du frétillant président, une trop grande majorité des coureurs qui trottent d’une course à l’autre dans ce beau pays sont non licenciés. Voilà qui est, pour le moins, dommage pour un homme qui entend bien les accueillir dans le giron fédéral.
On pourrait croire que les petits prurits organisationnels du président et sa manie assez spéciale de vouloir absolument récupérer l’intégralité des coureurs tient d’une simple compulsion un peu pathologique que d’aucuns gratifieraient à peine d’un petit haussement d’épaules et d’un soupir appuyé. Pas du tout : comme bien souvent dans ce genre de volonté farouche d’obliger les uns à passer absolument par les petits coups de tampons administratifs des autres, si notre ami Bernard veut absolument récupérer les trotteurs non licenciés, c’est pour une histoire de sous-sous dans la po-poche.
En effet, sur les plus de 9000 courses organisées en France, seulement 10% sont organisées par les clubs de la fédération. Oh, zut, tout ce bel argent qui ne rentre pas dans les caisses fédérales, forcément, c’est – quelque part – un mankagagner, n’est-ce pas. Et si Bernard veut avoir la mainmise sur les organisations des courses hors stade, c’est bel et bien pour prélever une partie des engagements versés par chaque coureur. Miam. Bien évidemment, notre homme ne l’explique pas tout à fait ainsi. Pour faire passer la pilule, on utilisera le joker du patrimoine (oui, vous avez bien lu) :
« Ne les laissons pas aux autres, c’est notre patrimoine. Nos structures sont mieux placées que quiconque pour organiser. Et puis cette somme reliera les coureurs à la fédération. »
Seul hic : pour le moment, méchante concurrence oblige, les coureurs peuvent choisir de s’affilier ou non. En effet, suite à une directive européenne passée il y a quatre ans, le décret permettait à qui le souhaitait d’organiser une épreuve. Ce qui, on le comprend, n’est pas compatible avec les histoires de patrimoine, de relation des coureurs avec la grande famille des trotteurs licenciés et de sous-sous dans la po-poche de la fédé de Bernard. Depuis, heureusement, le président travaille avec le ministère des Sports pour qu’aucune course hors stade ne puisse être organisée sans l’aval de sa fédération. Confiant, Bernie explique que « Le décret devrait être revu dans les mois qui viennent. » (et par ici la bonne soupe).
C’est pas formidable, ça ? Bientôt, pour trotter, il faudra payer, non pour une organisation, mais pour une fédération à laquelle l’inscription sera de jure obligatoire. Bien sûr, ce n’est pas la seule discipline qui impose ainsi ce genre de pratiques, toujours en se drapant dans les grosses tentures lourdes de l’organisation, de la sécurité, ou, comme ici, d’un fichu patrimoine dont on se demande ce qu’il vient faire ici. Et à chaque fois qu’une liberté de se passer d’un coup de tampon disparaît, à chaque fois qu’une nouvelle loi, qu’un nouveau décret vient ainsi imposer un mode là où régnait avant le libre choix des individus, un chaton meurt un petit pas est fait dans la mauvaise direction.
On pourrait croire que ces petits pas guillerets de la France sur la route de la servitude sont le fait de personnes animées de noirs desseins, en coulisse du pouvoir visible et tirant les longues ficelles machiavéliques qui font bouger les marionnettes ridicules qui occupent nos journaux et nos chroniques. Eh bien non : chaque jour, c’est « grâce » au travail de Bénédictin d’une foule presque anonyme de petits frustrés que le pays avance vers ce paradis où jamais la devise de Mussolini, « Tout par l’État, rien hors de l’État, rien contre l’État ! », n’aura été autant d’application. C’est bien grâce à leurs exactions quotidiennes conscientes, aux petites entorses régulières au bon sens, aux crocs-en-jambe fourbes assidus à la liberté que les sbires tranquilles du tout-à-l’État poussent le pays vers l’enfer collectiviste et totalitaire qu’ils appellent de leurs vœux. Et c’est précisément parce que la foule de ces chefaillons frustrés et de ces petits magouilleurs retors est de plus en plus grande qu’il n’y aura probablement pas d’autre issue que d’y aller, sinon gaiement, au moins d’un pas assuré.
Ce pays est foutu.
—
PS : une pétition en ligne existe contre cette mainmise de la fédération ; elle est ici.
J'accepte les Bitcoins !
1E4YD7wt3Cq1H5ikFRQNbEDj9TNGczwUZs
Vous aussi, foutez Draghi et Yellen dehors, terrorisez l’État et les banques centrales en utilisant Bitcoin, en le promouvant et pourquoi pas, en faisant un don avec !
Powered by Bitcoin Tips