Titre: Carmen Lamour
Auteurs : Eric Maltaite (dessin) Stephen Desberg (scenario) Editeur : P&T Production Année : 1993
Résumé : Tout commence avec un flash d'informations dans une ambiance digne de l'âge d'or d'Hollywood annonçant au lecteur une avant-première en grande pompe pour le lancement du nouveau film de la star Carmen Lamour : « Kongo ». S'enchaîne une histoire courte dans une ambiance cartoon avant de rentrer dans « Kongo », l'histoire annoncée dès le début de la BD. Soit l'expédition belge dépêchée par le roi Léopold pour lui ramener quelques colonies souvenirs. Une expédition composée d'un scientifique ambitieux, d'un missionnaire gourmand et... de Carmen. Mais la petite troupe va se heurter à de sérieux rivaux: des colons envoyés par les puissances rivales de l'époque: la trop pangermanique Allemagne et la perfide Albion ! Vous l'avez compris, nous sommes en plein dix-neuvième siècle et nous sommes surtout là pour rire. Mon avis : En fait, toute cette BD est présentée comme une projection des années cinquante: Ses infos, le court métrage ambiance Looney Tunes et le film ! Ce qui positionne d'emblée le lecteur comme un spectateur plongeant dans une fiction, créant ainsi un double niveau de lecture. L'aventure racontée est elle-même fictive, mais les personnages qui l'incarnent doivent le savoir, étant des acteurs jouant des rôles. Un effet très curieux dû au fait qu'à part les infos, rien ne nous est montré des coulisses du « film » constituant la BD. En tout cas, l'humour est au rendez-vous dans cette comédie d'aventure simple et sans prétention. Et le second degré, apporté par le lancement du film et inhérent au backstage – comme disent si bien nos amis british - du tournage, se perd dès qu'on rentre dans la projection du film en soi. La première histoire nous est narrée par un chien et va se révéler importante car, malgré les apparences, elle est diablement liée au récit principal. Ce chien faisant un retour fracassant par la suite, et étant même le moteur de l'action du personnage incarnée par Carmen Lamour. En effet, le personnage principal de cette histoire n'est pas le scientifique mais bien cette jeune fille qui arrive comme un chien dans un jeu de quilles au cœur de l'expédition. Carmen Lamour, personnage de fiction, incarne donc ce rôle... fictif ! On s'y perd... Mais l'héroïne est la seule à qui le flash d'information donne la parole. Elle reste présente donc de A à Z dans cette BD-projection.
Si le personnage nous est d'abord présenté comme une amie fidèle, avant de se retrouver mise en avant par ses formes très sexy, elle se révèle par la suite le caractère possédant le plus de jugeote dans cette histoire. Et si l'intuition féminine n'est pas un vain mot, l'intelligence de Carmen est bien utile dans ce récit rocambolesque. Les deux meneurs de l'expédition se révélant vite une grande source de gags et apparaissant bien trop irréfléchis pour permettre à l'expédition d'atteindre ses objectifs. Carmen saura donc reconquérir sa place à leurs yeux, car ses deux goujats ont une image bien peu reluisante de la femme – l'époque oblige -. Mais allant au-delà, sans (trop) jouer sur ses courbes avantageuses, Carmen saura aussi obtenir la reconnaissance de ses mérites par les rivaux des Belges ! Fini donc le rôle de la pin-up capturée par les bons sauvages et condamnée à être sauvée par un bel aventurier avant de finir ébouillantée par les cannibales. Desberg a inversé la donne et Carmen reste la belle pin-up mais elle prend vite le devant dans ce jeu de course. Quant au bel aventurier, scientifique naturaliste obtus baptisant les papillons d'après le nom du roi Léopold, il provoquera plutôt le rire que l'admiration. Derrière une histoire sans prétention, rebondissant sur des gags que nous avons déjà vu bien souvent utilisés par ailleurs, c'est ce renversement et cet autre regard sur la femme qui est le plus discrètement sympathique dans cette œuvre. Les personnages secondaires sont caricaturaux à mourir, mais du coup ne nous apportent pas beaucoup de surprises. Ce petit monde est assez manichéen et ce n'est donc effectivement pas là que réside l'attrait majeur de la BD. Pour mettre en image cet univers gorgeant de gags, c'est Maltaite qui s'y colle. Ainsi, le duo de 421 reprend la route pour une aventure bien différentes de celle de l'agent secret qui, malgré les apparences, ne joue pas au dés. Personnages stylisés, aux traits accentués, Maltaite adopte un style loin du réalisme, tout à fait adapté au ton de la BD. Les visages caricaturaux sont très expressifs. Les corps prennent des poses très cartoon, accentuant les situations drôles. Les courses très stylisées m'en font d'autant plus rire. Petit point, j'ai constaté que Carmen a tendance à grandir tout au long de l'album, très discrètement. Et on ne me convaincra pas que cela est dû uniquement aux talons hauts qu'elle finit par porter en pleine brousse ! Mais passons ce petit accroc technique. Les décors cohérents restent néanmoins raccord avec les personnages. Ils ne basculent pas dans un réalisme excessif. Ils savent s'effacer pour laisser la place à l'émotion. Et donc surtout au rire, nœud de l'histoire ! Les couleurs explosent dès qu'on arrive dans la brousse du Kongo. Les teintes claires apportent le soleil écrasant qui doit régner là-bas. Les couleurs restent présentes en laissant la part belle à l'action, tout comme les personnages. Je tiens donc à préciser que la coloriste de l'album est Anne-Marie d'Authenay. Il est vrai que l'on a parfois tendance à oublier le travail complémentaire, nécessaire et vital de ces artistes. Le découpage reste très classique, trois à quatre bandes de une à trois cases. Notons que la première histoire, celle du chien, se déroule dans des teintes plus pastels et que les cases ne comportent aucun contour, ce qui permet vraiment de créer deux univers différents de manière simple. Sinon, la belle surprise est que l'histoire principale présente des beaux dessins pleine page, qui permettent de mettre en avant certains moments du récit. A l'image de ces belles illustrations qui rehaussaient les livres d'aventures que nous lisions tous, enfants, et qui sont réalisées de la même manière que la petite histoire du chien : pas de contour, comme des peintures aux traits moins marqués que les planches normales. Carmen Lamour n'est pas devenue une héroïne de série au long cours. Mais était-ce là son destin ? Je ne pense pas. Protagoniste enjouée et maligne de ce one-shot, elle a su, en ne jouant pas juste sur son charme physique, briser les standards habituels de la jeune première dans le récit d'aventure. Et même si Carmen n'est pas l'initiatrice d'un tel mouvement, après tout, nul ne peut oublier l'intelligence et la témérité de Yoko Tsuno ni la bravoure et le sens de la justice d'Aria, pour ne citer qu'elles, je suis gré à Carmen Lamour de continuer le mouvement, dans l'univers de l'humour. Comme quoi , il ne faut pas se fier au nom parce qu'avec un titre comme Carmen Lamour, quand même, je ne m'attendais pas à ce type d'histoire alors que vous, maintenant, si... Zéda partir avec Carmen à l'aventure en pleine Afrique sauvage ? Peu probable...