Que ceux qui n’ont jamais ouvert un seul livre de leur vie cessent d’avoir honte ! Ils devraient même le revendiquer haut et fort. C’est du moins le message que délivre le joyeux pamphlet de Pierre Ménard, dans lequel l’auteur passe en revue tous les risques auxquels s’exposent les bibliopathes, à commencer par celui de s’écorcher. « Combien d’innocents lecteurs se blessent chaque année en tournant les pages de livres médiocres, quand ils ne sont pas abjects ? » Vu l’ampleur du fléau, on se demanderait presque pourquoi aucune étude ne s’est jamais penchée sur la question.
Autrefois, les livres étaient écrits par les hommes de lettres et lus par le public ; aujourd’hui, ils sont écrits par le public et personne ne les lit.
Oscar Wilde
Laideur, pédantisme, voire dans certains cas dépression ou folie, l’abus de livres nuit gravement à la santé : « à manier avec précaution, ou mieux encore à ne jamais toucher ». De quoi décomplexer les plus incultes une bonne fois pour toutes, car ceux qui souffrent du mal sont hélas irrécupérables, coincés quelque part dans le XVIIIe ou dans une vie qui leur est étrangère. « Le lecteur, parce qu’il a lu un livre d’un homme intelligent, se croit intelligent lui-même. Quelle absurdité ! Diantre, ce n’est pas parce que l’on regarde James Bond qu’on est agent secret. » Comble du vice : plutôt que de tenir les néophytes à l’écart des bouquins, aucun doute que l’humour de Pierre Ménard aura pour effet d’éveiller leur curiosité… Avant qu’ils ne réduisent les livres à leur seul intérêt : « écraser des moustiques et caler les tables ».