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Marginales chinoises

Publié le 22 mars 2015 par Romuald Le Peru @SwedishParrot

Pour moi, pour plus tard, pour ceux qui y voient de l’intérêt…

Le Christ au tombeau, Hans Holbein dit Holbein Le Jeune, 1522

Le Christ au tombeau, Hans Holbein dit Holbein Le Jeune, 1522

DOSTOÏEVSKI EST FRAPPÉ D’UNE CRISE D’ÉPILEPSIE dans le musée de Bâle, devant le Christ mort de Holbein. La peinture occidentale, de Grünewald à Goya, de Greco à Van Gogh et à Munch, ne manque pas, il me semble, d’œuvres susceptibles de déclencher de semblables accidents dans des organismes hypersensibles. En revanche, il serait inconcevable, par définition même, qu’une peinture chinoise produisît pareil effet — même la violence d’un Xu Wei ou l’inquiétante bizarrerie d’un Wu Bin ou d’un Cheng Hongshou ne sauraient vraiment infirmer cette observation. Une seule exception cependant : l’angoissant Gong Xian de la collection Drenowatz (Mille pics et dix mille ravins, musée Ritberg, Zurich) : peinture si dense, que nul air n’y circule — le seul paysage suffocant que je connaisse.

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CE QUI CIMENTE UN GROUPE SOCIAL, armé de tous les rites et instruments du pouvoir et de la religion, c’est moins une nécessité économique qu’un sentiment de terreur devant le mystère du monde et la menace des choses. Au fond, Lord of the Flies (Sa Majesté des mouches), de William Golding, est une sorte de paraphrase du propos d’Alain : « La société n’est pas fille de la faim, mais de la peur. »

Ça, c’est pour l’air du temps…

Au temps des Royaumes Combattants, la cavalerie avait une grande importance militaire, et aussi les divers souverains employaient-ils des experts pour leur procurer de bons chevaux. On prisait par-dessus tout le « super-cheval » (qian mi la), une monture capable de galoper mille lieues en un jour sans que ses sabots ne laissent de trace ni ne soulèvent de poussière. Pareils chevaux étaient très recherchés, mais ils étaient aussi excessivement rares, et difficiles à identifier — d’où le besoin de recourir aux services de connaisseurs spécialisés. Le plus célèbre de ces experts était un homme appelé Bole, et il était employé par le duc de Qin. Bole étant devenu finalement trop âgé pour poursuivre ses prospections aux quatre coins du pays, le duc lui demande s’il ne pouvait pas lui recommander un expert capable de le remplacer. « Si, lui répondit Bole, j’ai un ami, un colporteur qui vend des fagots au marché ; c’est un bon connaisseur de chevaux. » Sur les conseils de Bole , le duc chargea donc l’individu en question de se mettre en recherche d’un super-cheval. Trois mois plus tard, l’homme était de retour et annonça au duc : « J’ai trouvé votre animal dans tel village : c’est une jument brune. » Le duc envoya aussitôt ses gens, qui ne trouvèrent là qu’un étalon noir. Fort mécontent, le duc convoqua Bole : « Il n’est pas très compétent, votre ami ! Il ne sait même pas distinguer correctement la couleur et le sexe d’un cheval ! » En entendant ces mots, Bole s’exclama, stupéfait : « Formidable ! Il est encore plus fort que je ne pensais — il me surpasse cent et mille fois ! Ce qu’il détecte, c’est la nature interne de l’animal. Il recherche et voit seulement ce qu’il a besoin de voir, et il ignore tout le reste. Sans se laisser distraire par les apparences externes, il va droit à l’essence intérieure. La façon dont il juge ce cheval montre qu’il serait qualifié pour juger des choses plus importantes que des chevaux ! » Et, inutile de l’ajouter, l’animal en question se révéla être un super-cheval capable de galoper mille lieues en un jour, sans que ses sabots ne laissent de trace ni ne soulèvent de poussière.

千里马 - Qian li ma

Les trois citations sont extraites de Le bonheur des petits poissons, de Simon Leys.


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