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Dans cette production monégasque, direction et metteur en scène ont, contrairement à ce qui se fait avec cet opéra de Mozart, tout axé sur l’homogénéité aussi bien dans la conception de l’œuvre que dans le choix des voix dont la jeunesse est une qualité première.
Avec Jean-Louis Grinda donc plus question de cette atmosphère poudrée (ou si peu) recréée pour un quelconque grand seigneur de telle ou telle cour espagnole.
Voici un XVIIIe siècle tour à tour charbonneux ou pourpre et or, sans noble issue idéologique, où l’idée de la vie de tous les jours, de la fuite vers le plaisir, du sexe à tout va, constitue le fil conducteur.
Dans les lumières à la fois poétiques ou psychédéliques de Laurent Castaingt, on assiste donc à une course à l’abîme, un cauchemar romantique à la Fussli, un gaspillage du temps, de l’argent, une rage de vivre entre mensonge, meurtre, travestissement, trahison, viol.
Domine par-dessus-tout, cette volonté de brûler les étapes, de jouir de tout, n’importe où, n’importe comment et même d’atteindre un dernier orgasme (à votre guise punitif ou purificateur) avant de rejoindre les ténèbres. Quand la fesse va, tout va! Eros et Thanatos même combat!
Dans ces conditions, les rapports humains entre les personnages prennent une importance particulière. Si les décors et costumes stylisés avec chic de Rudy Sabounghi apportent une contribution élégante et cohérente au spectacle, loin des pièges métaphysiques dans lequel s’enlisent habituellement ceux qui osent mettre en image cet ouvrage, la mise en scène du Maître des lieux souligne habilement autant le côté giacoso de cet éternel chef-d’œuvre que le côté drama. Comme pour mieux mettre en évidence la sombre gaieté de la musique, sa prédestination vers un dénouement comico-tragique.
En grand seigneur méchant homme, sexy en diable, Erwin Schrott casse littéralement la baraque, crève l’écran, brûle les planches et domine la distribution sans l’ombre d’un orgueil. Rageur, cynique, crapule, machiste comme une horde de gays cuirs ibériques (on a les noms!), arrogant, vigoureux, d’une présence scénique presque trop autoritaire, le baryton-basse uruguayen, la petite quarantaine victorieuse, lâche ses hormones à tous vents et nous gratifie d’une éblouissante leçon de chant, tour à tour séducteur-jouisseur raffiné au timbre de velours ou vrai voyou arrogant, égoïste, imbu de lui-même, à l’aise comme pas deux dans la tierce aiguë. Sa belle vocalità de basse a toute la projection et l’insolence exigées. Une très grande composition.
Son valet souffre-douleur Leporello lui volerait presque la vedette. Adrian Sampetrean, prodigieux artiste-acrobate, lui prête une voix et une présence remarquables. Un buffo sans vulgarité, plein de vivacité, d’esprit, à la voix saine. Un must.
Belle réplique aussi de Maxim Mironov en Ottavio. Ses deux airs, comme suspendus dans le temps, ont su faire passer le souffle mozartien à tout Don Giovanni qui se respecte: suavité, tendresse, déchirement.
Toutes griffes dehors, Patrizia Ciofi - une habituée du rôle - surmonte avec brio les difficultés de Donna Anna. La délicate Sonya Yoncheva allie raffinement exquis du style et le charme fragile, blessé, mélancolique, indicible d’Elvira, pauvre et triste femme délaissée.
Enfin, au couple charmant formé par Loriana Castellano (Zerlina sensuelle puis déterminée) et Fernando Javier Rado (volontaire Masetto) s’opposait le Commandeur à la noblesse impressionnante de Giacomo Prestia.
On ne le dira jamais assez. L’opéra des opéras est aussi volonté de chef. Il lui faut juste mesure dans les rires, l’excès, le vertige, l’effroi.
Dans la fosse aux lions, Paolo Arrivabeni épouse la conception de la mise en scène avec des coloris très contrastés. Il établit d’emblée le rythme théâtral exact, maintenant tout au long de l’ouvrage cette élégance subtile sans laquelle ce chef-d’œuvre ne peut survivre.
Plénitude du son et pétillement du rythme font de la phalange monégasque et des chœurs un autre atout maître du spectacle.