Les études de lettres réservent de grands moments de découverte (Brantôme, Rilke…) et des instants de profond désespoir. Je sais que je vais dans quelques lignes m’exposer au courroux de mes bienaimés collègues professeurs de lettres (modernes ET classiques) et risquer d’essuyer des commentaires acides mais tant pis. Il me faut l’avouer (pardon chers littéraires de tous pays : je n’ai jamais compris l’intérêt de Madame Bovary du regretté Gustave Flaubert. Déjà, la primo lecture de ce pavé volume m’avait laissée de marbre. Quelques années plus tard, le programme universitaire annonçait un module « exclusivement consacré à l’étude du chef d’oeuvre de Gustave Flaubert ». J’ai caressé le fol espoir de creuser La chartreuse de Parme et de plonger dans les secrets intimes de Fabrice Del Dongo, le héros absolu, flamboyant et furieusement sexy (si, si). Las, loupé. Aussitôt espéré, aussitôt abandonné. C’était la tiédasse et capricieuse Emma, son fadasse et ramolli Charles, ses amants, ses amours, ses emmerdes que j’allais devoir me coltiner pendant deux semestres.
Dans mon malheur, j’appris que j’avais la « chance » d’avoir pour enseignante madame S., LA sommité reconnue comme experte sur le sujet : c’était le moment ou jamais d’être convertie. Aucune possibilité cependant d’attendre un cours tranquille (comprendre : où je pouvais préparer tranquillement partiels des autres matières et mémoire à soutenir quelques mois plus tard), il allait falloir donner de sa personne. En bonne étudiante que j’étais (bête et disciplinée donc), je me suis astreinte à la dissection nano lecture du dramatique destin de la pôvre Emma. J’étais comme les galériens embarqués dans la bataille de Lépante, pourtant libre et volontaire, à ramer non dans le golfe de Patras mais en pleine Seine Maritime… Plusieurs mois plus tard, madame S. avait commis son énième volume sur miss Bovary et moi, comme Zola, j’attendais toujours d’y trouver un intérêt quelconque. Les années ont passé et Madame Bovary est restée à jamais pour moi le récit ennuyeux d’une femme qui s’ennuie.
Seule anecdote amusante, j’avais découvert la technique du gueuloir de Flaubert : « Les phrases mal écrites ne résistent pas [à l’épreuve de la lecture à voix haute] ; elles oppressent la poitrine, gênent les battements de cœur, et se trouvent ainsi en dehors des conditions de la vie.(…) Je vois assez régulièrement se lever l’aurore, car je pousse ma besogne fort avant dans la nuit, les fenêtres ouvertes, en manches de chemise et gueulant, dans le silence du cabinet, comme un énergumène ! » (Lettre à Madame Brenne, 8 juillet 1876.). Gustave Flaubert, « en manches de chemises », au petit matin, en train de brailler ses phrases pour en vérifier la qualité d’écriture : l’image était divertissante.
J’avais rangé l’ouvrage au rayon pertes et profits de la bibliothèque (dessous, pour caler le meuble), m’interdisant ne serait-ce que d’envisager de peut-être l’infliger à une de mes classes (je ne suis pas inhumaine) lorsque j’ai découvert la vidéo de Jean Rochefort qui propose une « lecture alternative » du roman pour le Tumblr BDBL. La mièvre Emma y devient (entre autres) une « petite zouz qui kiffe le luxe » : jubilatoire. Certes, l’exercice est périlleux et il faut toute l’élégance de Rochefort pour ne pas tomber dans la vulgarité. Depuis hier je me surprends à imaginer Le rouge et le noir revisité : il ne s’agirait plus de la rencontre du ramolli Julien Sorel avec la très blonde Mathilde et la déjà cougar Madame de Rénal : tout un univers à redécouvrir !