Déclassement des milieux populaires : quels symptômes, quels remèdes ?

Publié le 07 décembre 2014 par Michael Vincent @0vinz

Au bal des milieux populaires, le discours identitaire et l’explosion du vote d’extrême droite sont les rois. Il s’agit ici des symptômes les plus visibles du déclassement périurbain. Si la France est un malade imaginaire, sans causes sérieuses, alors s’attaquer aux symptômes semble raisonnable. Qui veut attaquer le problème à la racine, ne peut se contenter de simplement faire tomber la fièvre d’une France sévèrement grippée. De quels symptômes parle-t-on ? Modestement, essayons d’en identifier quelques-uns.

Le FN et l’échec des progressistes

Le FN est un parti en pleine crise d’adolescence. Il se cherche et c’est souvent là où on ne l’attend pas qu’on le trouve. Récemment par exemple, les frontistes ont littéralement déclaré leur flamme à l’écologie, en déclinant le logo au vert lors de la création d’une cellule écologiste au sein du parti. Afin d’achever le siphonage des voix de gauche ?

Les progressistes sont les premiers à insister sur le besoin d’ouverture, à exprimer leur volonté de faire participer tout le monde – jeunes, femmes, populations issues de l’immigration – ou encore à insister sur le besoin de lutter contre le cumul des mandats en vue d’éviter la professionnalisation de la vie politique.

Et pourtant, de la théorie à la pratique, c’est bien le FN qui détient le double record des élus les plus jeunes à l’Assemblée nationale et au Sénat ! Jeunes qui le lui rendent bien puisque 30% des moins de 35 ans ont voté extrême droite lors des dernières élections : Il est loin le temps de la jeunesse qui emmerde le Front National. Il représente désormais l’alternative « antisystème » s’attaquant aux collusions dans la classe politique, discours que nos énarques ont bien du mal à contrer. Comment a-t-on pu laisser ces créneaux si évidents à un parti aux idées aussi rétrogrades ?

La cellule anti-FN

Pour les élus de la Gauche Forte, mouvement interne au PS, la lutte contre le Front National est un véritable sacerdoce. Puisqu’un guide aux allures de manuel scolaire ne suffisait pas, les quadras plein d’avenir de la région Rhône-Alpes réitèrent et obtiennent de Jean-Christophe Cambadélis l’autorisation de monter une cellule anti-FN au sein du Parti Socialiste. Il s’agit de parer aux mieux les militants en proposant un argumentaire sans faille contre le Front, et de cartographier ses électeurs.

Le Guide Anti-FN

C’est une stratégie à haut risque. Il y a un véritable besoin de retourner au contact des électeurs mais pas tant pour leur donner des leçons que pour comprendre leurs revendications, et de simplement les écouter. Le vote FN n’est pas qu’un vote d’adhésion, c’est aussi un vote du désespoir, un vote de contestation du système en place, et parfois même, un vote pour simplement essayer de se faire entendre. Dans ce contexte, démonter point par point le programme FN est inutile.

En allant à leur rencontre, certains de ces électeurs expliquent qu’ils savent éperdument que l’extrême droite n’ira pas très loin, qu’ils n’y croient pas eux-mêmes. Il s’agit d’une posture de rejet, de refus de faire ce qui est demandé. Se poser en donneur de leçons ne peut qu’empirer la situation car malheureusement, la posture paternaliste des partis au pouvoir galvanise et renforce les extrêmes, bien plus que le contraire.

Lorsqu’à la télévision, un chien écrasé dans une mairie FN devient une victime du fascisme, c’est toute la meute frontiste qui aboie d’une seule voix et revendique une appartenance à une résistance contre la soi-disant bien-pensance. C’est bien là la meilleure façon de renforcer encore un peu plus durablement les extrêmes dans le paysage politique : leur servir le beau rôle sur un plateau.

Pourquoi vote-on FN ?

Il parait qu’on reconnaît les grands partis à la présence de courants internes. Pour le FN, il semble clair qu’il existe une ligne Nord-Sud. Les bassins miniers du Nord de la France se sont toujours caractérisés par un vote ouvrier et “solidaire”. Dans cette région tout comme dans l’Est, une usine, une entreprise qui ferme se transforme généralement en autant de voix supplémentaires plus pour l’extrême droite.

Insee Revenus 2011

De manière générale, la disparité des revenus tend a souligner le recul des zones périurbaines sur les métropoles. Recoupée avec les résultats des dernières élections européennes, il existe une corrélation évidente. Au hasard, la liste bleue marine totalise 32.8% des suffrages exprimés dans le Nord, ou encore 30.9% dans l’Aude, départements où il existe de larges zones particulièrement modestes.

Si la lutte contre le grand capital et la force communiste tendent à s’estomper au profit du vote FN, il s’agit toujours d’un vote populaire et ne pourrait se traduire par les mêmes politiques que dans les mairies du Sud, où le parti oeuvre à la chasse aux chômeurs et aux « assistés » selon ses termes et prive de cantine les enfants les plus démunis. Difficile de croire que les deux électorats décrits ici soient conciliables.

Électorat des villes, électorat des champs ? Le vote FN est souvent présenté comme un vote périurbain, là où les métropoles seraient épargnées des montées populistes. Pourtant, ce phénomène touche aussi les grandes villes – Marseille est un exemple évident. En banlieue d’abord, mais de plus en plus les centres villes. Pour l’anecdote, s’il est de notoriété publique que l’ouest parisien regroupe certains bastions extrémistes, j’ai pu croiser en plein Paris, un groupe de militants du boulevard Garibaldi dont la principale revendication était le retour à la monarchie … Le front fera des déçus dans ses rangs c’est certain ! Blague à part, quel est le dénominateur commun de tous ces électeurs, au profil si différent ? Il faut mettre le Front face à ses contradictions.

Relisant cette tribune, il me tarde cependant de clore cette question purement électorale et d’enfin aborder le fond plus que la forme. Agiter encore les même démons, les Zemmour, les Le Pen, c’est si confortable ! Personnifions le rance et combattons-le sur les plateaux télé. Qui pourra alors nous accuser de n’avoir rien fait ? Lutter contre le vote populiste en ignorant ses raisons serait superficiel. En se focalisant sur l’immigration, on oppose en réalité des pauvres à d’autres pauvres en prenant bien soin de les écarter des problèmes de fond biens plus difficiles à régler. Derrière la rogne il y a pourtant des causes profondes et des solutions à proposer.

Quelles causes ? désindustrialisation et récession

Loin des grands pôles, le décrochage est significatif et les grandes métropoles ne s’en sont peut-être pas rendues compte assez vite puisque occupées avec la mondialisation qui les ont rendues plus prospères. Cette réussite, visible, a occulté les zones plus fragiles qui ont souffert en silence.

Si ces thèses ont longuement été développées par le démographe Christophe Guilluy, elles ne font pas l’unanimité. Pour les plus sceptiques, voici des cartes plus « neutres » venant de l’INSEE.

Les usines ferment. Le renouveau que la jeunesse pourrait et devrait apporter n’est pas au rendez-vous : les plus diplômés sont aussi les plus mobiles. Si l’on pointe régulièrement du doigt l’expatriation, n’occultons pas qu’il s’agisse surtout d’un mouvement vers les grandes métropoles, y compris au sein du territoire français. Il existe un plafond de verre en province. Devant le manque d’opportunités à l’écart des zones d’emploi les plus actives, l’ascenseur social, lorsqu’il existe, s’accompagne souvent d’un exode vers les métropoles. Plus mobile, la jeunesse quand elle le peut quitte la périphérie pour des pôles plus attractifs en France comme à l’étranger, dans lesquelles elle est à l’aise puisqu’elle a déjà eu l’opportunité d’y étudier. On ne peut lui en vouloir.

Une occasion à saisir : la réforme territoriale

C’est LA réforme à ne pas rater. Le débat autour de cette réforme majeure est malheureusement comme beaucoup d’autres, complètement pollué par la question identitaire – les départements se battant pour ne pas être assujettis au voisin mal aimé ou moins bien loti. Ce débat, indigne, trouve pourtant écho au Sénat, qui prend un malin plaisir à détricoter la réforme proposée par le gouvernement en monopolisant la parole sur des questions de changement de noms ou de redécoupage plutôt que de se poser la question des compétences à transférer. Ce n’est pas vraiment étonnant puisque le mode d’élection des sénateurs encourage un tel clientélisme, augmentant au passage une énième fois la méfiance des électeurs envers la classe politique. Et si la réforme territoriale, ce n’était pas d’abord la réforme du Sénat ? En vrac, le débat mériterait de se concentrer sur la question des compétences transférées aux régions, parler de la décentralisation, et de l’impact de ces changements sur les potentiels bienfaits en matière de stratégies industrielles et économiques à adopter au niveau local.

Réconcilier les Français avec la politique …

Vu de la périphérie, les élites sont invisibles. Redynamiser les régions, se rabibocher avec les Français, c’est le chantier de la réforme territoriale, à condition que celle-ci soit ambitieuse. Réconcilier les acteurs et électeurs en transférant une partie des compétences c’est encore le meilleur moyen d’éviter ces bulletins de votes de la dernière chance.

Enfin, ce problème n’est pas à déconnecter de l’économie – non pas réduite à la simple expression de la dette et des économies budgétaires comme on le fait trop souvent, mais bien l’économie au sens premier, au sens large. Au travail, à l’emploi, à l’industrie. Des éléments fédérateurs qui parlent à tous – et qui manquent désormais à beaucoup, surtout aux populations des zones déclassées.

… Et avec le travail

Et ce non pas en sous-entendant que les Français sont des fainéants. Des paresseux. Des assistés qui préfèrent vivre du RSA que du SMIC comme certains populistes le font. Réconcilier les Français avec le travail signifie les réconcilier avec leur employeur, avec l’entreprise. Si l’on oppose le méchant patron capitaliste à l’honnête travailleur, c’est aussi parce que l’on a négligé nos petites entreprises, à l’ancrage local véritable et à la hiérarchie identifiable par la base au profit des grands groupes

L’Europe est toujours en quête d’une politique industrielle nouvelle. Trop longtemps chantre de la concurrence au sein du marché unique donc du “laisser faire”, l’Union cherche désormais à se renouveler dans sa recherche de la croissance, en définissant une politique industrielle. De plus en plus souvent et de plus en plus fort, on y parle de coopération, d’aide sectorielle… Quelles que soient les politiques mises en œuvre, celles-ci ne pourront se mettre en place en faisant l’économie d’une véritable réforme territoriale : l’échelon efficace pour les mener est la région.

Les grands groupes de demain sont les PME d’aujourd’hui. Ce sont elles qui génèrent l’emploi et ce sur l’ensemble du territoire, souvent à un niveau très local. Elles sont malheureusement invisibles au travers de la focale européenne ou nationale. D’échelon en échelon le risque de capture de l’information est important – même en étant très volontaire, l’Etat prend le risque que les solutions envisagées soient moins efficaces.

À l’échelle mondiale, les pays européens ne peuvent raisonnablement jouer dans la même cour que les  » États-continents  » comme la Chine, l’Inde ou les États-Unis. Ne pouvant y parvenir seuls, les États membres doivent jouer la carte de la synergie. L’économie occidentale a atteint l’âge de la maturité et se définit d’abord comme un moteur de l’innovation mondiale. Conscient de cette force et devant la diversité européenne, il est nécessaire de faire preuve d’une certaine finesse d’appréciation. Connaître le terrain. Chaque nouvelle initiative, entreprise, start-up, est à observer sur le terrain et non pas de Paris ou de Bruxelles.

Les Allemands par exemple ont pu orienter plus finement leurs investissements grâce à la décentralisation. Les Länder constituent un cadre plus granulaire qui permet de concentrer l’action industrielle. En France, les préfets ne peuvent jouer ce rôle de vecteur d’information. L‘organisation du pouvoir actuel est avant tout top-down. L’avenir est au bottom-up. Par exemple, face à la fuite des géants industriels, l’échelon local peut intervenir efficacement et créer des pôles de compétitivité en faisant la liaison entre universités, centres de recherche, PME, start-up et grands groupes. Ces structures requièrent une précision d’horloger, ce qui les rendent complètement opaques vues de la capitale. Il s’agit notamment de pouvoir repérer les PME ayant le potentiel pour devenir des entreprises de tailles intermédiaires plutôt que de laisser des groupes américains les racheter. Le gouvernement en a d’ailleurs bien conscience : des initiatives comme le label French Tech lancé en grande pompe par Axelle Lemaire participent à cette volonté de progrès à l’échelon régional.

La French Tech

Il n’empêche qu’une véritable décentralisation est nécessaire pour que les régions s’élèvent et soient enfin remarquées sur la scène internationale. Pour profiter efficacement des politiques européennes, les localités françaises se doivent d’être plus visibles. Au sein de l’Union, deux communes sur cinq sont françaises. C’est une hérésie quand on sait que les Français représentent seulement 13 % de la population européenne…