Une fois n’est pas coutume, laissez-moi vous “compter” une histoire. Le mois dernier, au détour d’un échange sur la situation grecque et la renégociation de sa dette, mon interlocutrice me soulignait l’importance des critères de Maastricht, en particulier la nécessité de maintenir le déficit public annuel en dessous des 3 % du PIB. Et d’ajouter : “Ce chiffre a l’air un peu magique, mais des économistes très sérieux ont montré que sous ce seuil, le déficit était acceptable.”
Je n’ai évidemment pas contesté cette remarque : on l’entend à discrétion. Bruxelles le porte en étendard, et ce chiffre semble faire consensus à gauche comme à droite. Qui plus est, mon interlocutrice fait autorité dans ce domaine, puisqu’il s’agissait de Karine Berger, députée des Hautes Alpes, et secrétaire nationale à l’économie au Parti Socialiste.
Quelques jours plus tard, repensant à cette histoire, je me demandais bien ce qui le rendait acceptable. Après tout, petit ou gros, un déficit reste un déficit. De l’argent à emprunter. Si l’on s’en tient aux deux principaux critères de Maastricht sur le budget, avec une croissance atone, une dette publique de 60 % du PIB avec un déficit de 3 %, c’est une dette publique qui atteindra 70 % du PIB en 5 ans.
Même si la croissance revient, disons 2 % – ce qui est optimiste dans la conjoncture actuelle – 3 % de déficit reste une perte sèche qui s’accumule et qui fera monter la dette publique à 63 % du PIB en 5 ans. Bien évidemment, pour que la dette publique se stabilise, la croissance doit être égale au déficit.
Dix années seront nécessaires, avec une croissance de 5 % et un déficit de 3 %, pour faire baisser la dette de 60 à 50 % du PIB. C’est un scénario très optimiste – ce sont bien 35 années de déficit public qui nous ont conduits à une dette publique presque égale au PIB.
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Une première tendance se dégage donc – pourquoi comparer le déficit avec le PIB plutôt qu’avec la croissance ? Après tout, le déficit est une différence, un solde entre les dépenses et les recettes. Il serait plus cohérent de le comparer avec une autre différence, et c’est en le comparant avec la croissance que l’on sait s’il va un peu plus creuser la dette ou non.
Pourquoi également comparer cette dette avec le PIB ? Sous-entendons-nous que nous pourrions consacrer une année entière de revenus, ou en l’occurrence 7 mois pour une dette publique de 60 % du revenu national, pour essuyer notre dû ?
Je devais probablement faire fausse route, alors j’ai mené mes recherches. Jusqu’au moment où je suis tombé sur un article de la Tribune où l’auteur, chargé de mission à Bercy, revendique la paternité de ce critère.
À l’origine du déficit à 3 % du PIB, une invention 100 %… française
Bien que passablement agréable à lire car très lourd et dense, le texte n’en est pas moins éclairant.
François Mitterrand & Laurent Fabius
Giscard, annonçant pour l’année 1981 un déficit de 29 milliards de francs, le laissera filer voyant la gauche tenant sa victoire. Il devient rapidement très clair pour Fabius que le déficit avoisinerait les 100 milliards de francs – chiffre impossible à communiquer en l’état. Suite à une requête expresse du Président Mitterrand, deux jeunes fonctionnaires sortis de l’ENSAE vont plancher sur une règle simple pour rendre ce chiffre acceptable.
Tout y passe : rapport déficit/dépenses, déficit/recettes… c’est finalement le PIB qui retiendra l’attention de nos économistes. L’alpha et l’oméga de la macroéconomie. Ils n’y croient pas beaucoup mais faute de mieux, cette année-là, le déficit divisé par le PIB est juste en dessous de 3 %. C’est impair, ça sonne bien mieux que 100 milliards – ce sera le ratio divin.
Le travail des économistes terminé, le temps politique commence. Fabius lâchera le critère au détour d’une conférence de presse, en passant, sans insister, comme une vérité établie. Delors s’en resservira pour négocier face aux Allemands une déflation du franc face au mark. Le chiffre rentre doucement dans les esprits, tout comme la notion d’acceptabilité du déficit. Pure construction du discours, les 3 % témoigneront dès lors d’une politique budgétaire maîtrisée. Jusqu’à la consécration ultime : Maastricht.
Karine Berger vue par Claude Askolovitch dans son dernier ouvrage, Les Grands Garçons, 2015.
Ce récit m’aura fait voir, à mon tour, loin de la rigueur mathématique, de la poésie dans la politique budgétaire.