Le bouchon de Montbazon
Dans la protection du patrimoine immatériel pourrait figurer un monument historique : Le bouchon de Montbazon que tous ceux qui ont fréquenté la nationale 10 en France dans les années cinquante, soixante et soixante dix gardent peut-être douloureusement en mémoire. Souvenir de ces heures interminables passées dans cette file de voitures à l'arrêt, au cœur de ce goulot d'étranglement d'une petite commune condamnée à subir le ruban interminable des véhicules réduits à l'immobilité. A la sortie de Montbazon, vers le sud au début des années cinquante, un restaurant routier «Les Deux Croix» ne désemplit pas. Le patron de l'établissement décide opportunément en avril 1954 d‘installer à proximité un poste de distribution de carburants en collaboration avec la société Huilcombus. Peinte d’un blanc immaculé, la station est mise en service au printemps 1956 avant d’être cédée à la société OZO en novembre de la même année. La conception de cette petite création est l’œuvre de l'architecte Paul Lagneau. Une imposante« casquette » surplombant deux volucompteurs s'articule avec une flèche-totem de près de onze mètres de hauteur servant de support à la marque de carburants. En 1964 OZO rejoint le groupe TOTAL. Au cours de ces Trente glorieuses pendant lesquelles la croissance du parc automobile est plus rapide que celle du réseau routier, le bouchon de Montbazon fait figure d'institution. Lorsque l’autoroute A10 entre Tours et Poitiers ouvre en 1977 le trafic sur la Nationale 10 s'effondre. Le bouchon de Montbazon n'occupe plus alors que la mémoire de ceux qui l'on subi et le sort de la petite station service semble scellé.
Après une tentative de renaissance autour d'une activité de vente de voitures d'occasions jusqu’au début des années 1990, le commerce périclite. Au début des années 2000, le restaurant ferme, les lieux se dégradent peu à peu faute d’entretien. Vitrines brisées, murs détériorés, les herbes folles envahissent l'espace. Combien de fois avons nous croisé le long des routes ces stations abandonnées aux tags, aux dépôts sauvages de carcasses automobiles ? La station service de Montbazon porte en elle une mémoire plus riche : celle de cette architecture des années cinquante, d'une société de l'après-guerre qui a redécouvert les joies de l'évasion estivale et son corolaire : les bouchons routiers. Mais cette mémoire semble vouée elle aussi à l'abandon, contournée par une société plus récente, plus rapide, peu soucieuse de ce patrimoine associé à notre propre vie.
Patrimoine contemporain
En 2011 cependant un petit miracle se produit :" La municipalité de Sainte-Maure-de-Touraine prend conscience du caractère patrimonial du bâtiment et décide de le protéger en 2013 rendant sa démolition impossible." Dans le même temps le nouveau propriétaire fait repeindre la station qui retrouve sa blancheur d'origine. La préservation du patrimoine évoque habituellement la protection d'une vieille chapelle abandonnée, d'un moulin en ruine, d'un dolmen ou d'un château. La sauvegarde de la station service de Montbazon rapproche la sauvegarde patrimoniale de notre vécu, de nos souvenirs d'enfants lorsqu'il fallait patienter à l'arrière d'une voiture pour passer le bouchon de Montbazon. Une fois franchi, enfin, l'obstacle historique, lorsque la nationale montait jusqu'à la sortie sud de la commune, la station devenue " L'étoile du sud " ouvrait le chemin de la liberté, marquait le véritable point de départ pour les vacances d'été de ceux qui descendaient vers les plages de l'Atlantique. La petite station abandonnée puis restaurée n'assume plus certes sa fonction de service mais elle associe dans un même lieu le patrimoine architectural des années cinquante et le patrimoine immatériel du bouchon de Montbazon inscrit à jamais dans notre mémoire.
Photo années cinquante : Sabrio
Photo Etoile du sud : Fjallstal