Belle journée assez calme. Canonnade de temps en temps. Bombardement sérieux la nuit.
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Dimanche 21 – Passion. Nuit comme les précédentes. Fréquents coups de canon, bombes énormes. Émission pendant la grand’messe, d’un Vœu signé de l’Archevêque, du Chapitre, des Fabriciens, de célébrer, pendant 10 ans, le vendredi du Sacré Cœur par un jour d’Exposition et d’adoration du Saint-Sacrement, si la Cathédrale nous est laissée réparable.
Visite à Prouilly manquée, faute de voiture ; aucun cocher n’a voulu nous conduire. Visite du commandant Billard et d’un élève de Saint-Cyr avec lui (1). Réception de cinq colis expédiés par les sœurs de Maurice Barrès (Écho de Paris)
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims
(1) L’École Spéciale Militaire de Saint-Cyr est fermée depuis la mobilisation. Tous ses élèves, nommés officiers, sont aux armées. Les candidats reçus au concours de juin 1914 ont été incorporés comme soldats et les survivants ne seront nommés officiers que fin 1915. Dans doute s'agit-il de l'un d'entre eux.
Dimanche 21 Mars 1915.
Encore un nouveau malheur. Je me demande maintenant ce qu’il pourra encore m’arriver. Je vais te raconter cela tout au long. Hier j’avais promis à ton papa qu’aujourd’hui dimanche je passerai la journée chez eux. Comme hier il faisait un temps superbe ; c’est le premier jour du printemps.
Les aéros boches et français volaient déjà dans le ciel. Il était 9 heures quand je partis chez vous. Je pensais tout en marchant que s’il en était autrement, tu serais heureux par un temps pareil de te promener avec André, surtout qu’il marche bien. Comme je regrette ton absence, mon Charles. Enfin j’arrive chez vous et je profite que la petite Blanchette dort pour aller jusque chez nous au magasin chercher quelques provisions.
C’est rare quand je peux entrer car il y a toujours la sentinelle qui est à notre porte. J’ai un billet du commissaire mais il ne suffit pas ; il faudrait qu’il soit signé du commandant de la place. Mais par hasard celui qui était de garde aujourd’hui m’a laissée entrer. Et là je ne m’attendais pas à cela : la porte de la rue était bien fermée mais toutes les autres étaient grandes ouvertes. On était venu piller et malheureusement c’étaient les soldats. Pour les liquides ils avaient tout enlevé, ne laissant que les sirops, et encore peu. Ils avaient pris toutes les savonnettes, eaux de Cologne, boites de conserve, etc … J’étais navrée, et le plus fort, c’est qu’ils avaient été à la cave. Mais je n’eus pas le courage d’y descendre.
Ce nouveau coup me frappait et je repartis chez vous tristement, me demandant ce que j’avais pu faire pour être ainsi punie. L’après-midi je suis allée voir le commissaire avec la vieille fille, ma voisine, car on avait essayé d’aller chez elle aussi. Mais ça ne regarde pas le commissaire car c’est en zone militaire ; il en prend note quand même et demain j’irai tout au matin chez Mignot. Je ne veux rien perdre, j’ai déjà assez de malheur et je pense à mes deux petits.
Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) - Lettres prêtées par sa petite fille Sylviane JONVAL
De sa plus belle écriture, Sylviane Jonval, de Warmeriville a recopié sur un grand cahier les lettres écrites durant la guerre 14-18 par sa grand-mère Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) à son mari parti au front en août 1914 et tué le 23 septembre de la même année à Autrèches (Oise). Une mort qu'elle a mis plusieurs mois à accepter. Elle lui écrira en effet des lettres jusqu'au 6 mai 1917 (avec une interruption d'un an). Poignant.(Alain Moyat)
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