Voici venir le temps des grosses voix et quand on dit grosse voix on pense à D. D’ de Kabal (moitié de ce groupe) échappé en solo depuis quelques années commence petit à petit à refaire parler de lui rapologiquement. Mais ce dernier ne s’est jamais arrêté depuis la fin de l’Académie Mythique, il a en effet monté et réalisé des pièces de théâtre, transmis sa passion pour le HH et se remet donc à kicker.
Le revoici donc avec un nouveau clip « Indigne Indigène » un peu moins sombre qu’à son habitude et extrait de son projet à venir pour fin mars : un rassemblement de 6 CDs dont deux inédit. Revenons à ce clip que vous pourrez découvrir plus bas : nous avons beaucoup hésitez avant d’écrire ce qui suit – mais avons décidé de donner la parole à l’intéressé et aussi de vous parler du concept du clip et … Rencontre avec D’
D’ bonjour, comment vas-tu ?
Salut, je vais plutôt très bien, merci.
On se croise assez souvent sur Bobigny, on se connait un tout petit peu, mais tout d’abord, d’où te viens cette voix, grave, très grave, profonde, du fond de tes entrailles, mais encore ? Comment as-tu découvert ton « organe/ta capacité » à aller vers ces graves ? Est-ce grave (rires) ?
Cette voix m’est venue un jour, par « accident » lors d’un freestyle avec DJ Toty, DJ historique de Kabal, à l’époque on allait chez lui 2 ou 3 fois par semaine pour rapper sur toutes les faces B possibles durant des heures. On a tous fait une tête bizarre quand elle est sortit. Je ne m’en suis plus séparé depuis. C’est une technique vocale qui est proche de celle des moines tibétains, une saturation obtenue par compression de l’œsophage. A priori ce n’est pas très grave, ça n’écrase pas les codes vocales donc on peut y aller sans risque (rires) !
Revenons un peu sur ta carrière/ton parcours : tu as fait partie d’un Duo, KABAL : cette aventure est-elle définitivement terminée ?
KABAL était bien plus qu’un duo, c’était une tribu, une famille. « Définitivement terminée » ça ne veut rien dire, aucun de nous n’est devin. Ce qui est certain c’est qu’on a prit un réel plaisir à remonter le groupe en 2012, et les dates à Chauffer Dans La Noirceur, La Fête de L’Huma (scène Zebrock), le Divan du Monde ou notre retour à Boboche, sont gravés à présent. On a rarement la possibilité de réactiver ainsi des choses de son passé, nous on s’en est donné les moyens, et ça n’a pas de prix. On a fait comme on avait toujours fait : exactement comme on voulait et en indépendant.
C’était comment KABAL, as-tu quelques anecdotes à nous raconter ?
Ah ! Y’aurait plein de truc à raconter, ce qui me reste et qui est partageable (ahahaha !) c’est le processus de création de l’album ETATS D’AMES, Toty, Djamal et moi, on s’était longuement isolé pour l’écrire et le composer ensemble et ensuite avec l’équipe, autour de Professor K et Timour Cardenas, on s’est isolé du monde extérieur durant 5 semaines pour l’enregistrer, on est devenu une famille et on a fabriqué ainsi cet album, c’était fort, intense, fusionnel. Du pur bonheur.
Et l’époque avec Assassin, et la fameuse Académie Mythique ?
Ben je te laisse imaginer, tu vois le tableau ? Tu es rappeur, tu as 20 piges, et tu pars en tournée avec Assassin sur L’Homicide Tour. C’était énorme, on a dû travailler pour tenir la scène, c’est à ce moment là que c’est devenu mon métier, dans le sens où le travail pour se dépasser soi-même est noble parce que motivé par des énergies saines. Et me confronter avec le public, à cette époque, a été décisif pour moi. J’ai su quels chemins je voulais emprunter et quels chemins je voulais esquiver.
Tu as depuis quelques années mené ta barque en solo : avec du théâtre : des shows/ des pièces que tu écris et que tu réalises et dans lesquels tu joues : pourquoi être allé vers le théâtre ?
Cette aventure là est loin d’être une aventure solitaire. Ca va faire 10 ans maintenant que j’ai créé ma compagnie RIPOSTE (Réactions Inspirées par les Propos Outrageux et Sécuritaires Théorisés chez l’Elite), avant ça, je me suis retrouvé sur scène grâce à l’auteur/metteur en scène Mohamed Rouabhi, et cette traversée à fait bouger énormément de choses en moi, sur la puissance de l’écoute, l’exigence artistique et l’espace de parole que peut être une scène. Et puis un jour, Hassane Kouyaté m’a lancé un défi et m’a demandé si je pouvais écrire pour le théâtre, après m’être demandé qu’est-ce que mon écriture pouvait apporté ou pas à cet Art, je me suis dit qu’il fallait écrire un rap, mais un rap vingt fois plus long !
C’est ce que j’ai fait et ce que je fait depuis, il y a toujours des refrains dans les pièces que j’écris, ce sont des longs raps, des poèmes épiques. Les défis que présentent le théâtre sont aujourd’hui les défis qui me motivent le plus, je ne suis pas un enfant de la balle, certains peuvent se demander ce que je fous dans cet espace, mon travail est soutenu mais je dois encore convaincre un grand nombre, donc j’adore. Dans ma prochaine pièce, en cours d’écriture, je serai seul en scène, j’ai vraiment hâte.
A qui s’adressent tes pièces/tes œuvres ?
Elles sont comme mes raps, mes slams, elles s’adressent à tous ceux qui passent dans les parages. Mon théâtre est résolument Hip Hop, celui qui connaît ou vient de cette culture ne sera pas totalement désarçonné, il y aura des points de rdv, mon théâtre vient de la culture Hip Hop, il est ce que je suis.
Après le théâtre, pourquoi revenir au rap ? As-tu une préférence entre ces deux arts ? Sont-ils complémentaires ?
Bien sûr que ces deux Arts sont complémentaires, pour info, je ne fonctionne jamais en terme de « avant » et « après », je n’arrête pas d’écrire pour le théâtre tandis que je prépare la sortie de NOTRAP et je n’arrête pas le rap quand je joue ou écrit pour le théâtre. Ces deux arts sont fait pour coexister et ce que j’aime dans le théâtre qu’ON fabrique (il faut que j’arrête de dire « Je », cette aventure est sacrément collective !) c’est qu’il ne s’agit plus de se poser la question de quel genre va être convoqué dans telle ou telle scène, mais de se dire que la parole peut être jouée, scandée, rappée, slamée, ércuctée ou que sais-je encore. Le Rap est parole, le Théâtre aussi, ils font corps.
Quelles ont été tes influences : musicales ? sociales /politiques ?
Tout m’influence, que je le veuille ou non, le moindre son qui passe par mes oreilles, un dispute dans le métro, le rap qu’écoute mes enfants, tout…Ensuite on peut dire que le Rap qui a existé jusqu’au milieu des années 90 m’a vraiment bercé. Si tu voyais ma tronche là, sur cette question, tu serais mort de rire, tellement il m’est impossible d’y répondre, c’est trop vaste.
Tu sors très bientôt un coffret « collector » de 6 CDs « NO TRAP » : pourquoi cela ? Pourquoi un projet si « conséquent » ?
Aujourd’hui, compte tenu de mon évolution artistique, ce n’est plus du tout cohérent de ne mettre que du Rap dans un de mes disques ou enregistrements. Je vais continuer d’avancer à ma façon, c’est à dire de manière totalement libre et à l’écoute de mes envies. Ce qui veut dire que mes prochains enregistrements ne seront pas forcément « classable » dans une catégorie ou dans une autre, ils seront musique, tout simplement.
De fait, il me fallait, en quelque sorte, dire aurevoir à ceux qui sont attentifs à mes travaux autour du Rap, dont certains depuis près de 20 ans. NOTRAP marque la fin d’un cycle, je ne ferai plus d’album estampillé « Rap », ce sera autre chose : NOTRAP !
De manière générale, comment te viennent tes idées, tes textes ? il y a souvent beaucoup de noirceur, de douleurs dans tes textes et dans tes images (pochettes, clips souvent en Noir et blanc) : à quoi est-ce dû ?
Je dirai que c’est une question d’espace ouvert. J’aime bien comparer l’être humain à une maison faite de plein de pièces, de tailles, fonctions et formes diverses. La « pièce » dans laquelle je m’installe pour écrire est basse de plafond, la lumière passe difficilement, il n’y fait pas très chaud. Ce qui va en sortir sera donc inspiré de l’atmosphère qui y règne. Dans la vie j’suis plutôt toujours prêt à déconner et taper des barres, il existe cet espace autre, pour mes colères et mes démons enfouis, mes textes en sont imprégnés.
NO TRAP : New Oral Tradition Rythm And Poetry, mais encore ?
C’est à la fois NOT RAP et NO TRAP. New Oral Tradition Rhythm And Poetry est la définition la plus proche de la musique que je fabrique aujourd’hui. C’est entre la musique et le théâtre, le rap, le slam, la poésie sous toutes ses formes, l’éléctro, les musiques tribales, le human beatbox etc… NOTRAP est pour moi à la croisée des chemins.
Sur ton clip, quelle était ton envie/ comment comprendre le concept du clip ? – pourquoi ces trois personnages, pourquoi toi trois fois ? Cela rejoint ton envie de jouer/d’acter ?
Dans mon 1er album solo : Contes Ineffables, parut en 2003, j’utilisais 5 voix différentes, c’est depuis toujours un de mes délires. Chaque voix est un personnage, avec une certaine personnalité, une sensibilité rythmique particulière, une approche du Rap qui lui correspond. Dans Indigne Indigène, je voulais donner corps à deux de ces voix, en plus de la grave. Ce qui nous a intéressé avec le réal Pilou Guetta et son équipe, c’était le côté performance du clip, on s’est bien marré à la faire, même si ça m’a traumatisé de raser ma barbe ahahahahah !!
Musique :
Prod : Abraham « Tismé » Diallo
Enregistré par Yed au Yedorium
Mixé par Franco Mannara.
Le concept du clip est le NOTRAP BATTLE, un battle entre les différents personnages, mais un battle sans égo trip ni vannes, un battle argumenté, cordial et constructif, sur une thématique donné, là c’est à propos de ceux qui viennent du peuple et qui, une fois qu’ils ont la parole, ne servent que leurs propres intérêts. L’Indigne Indigène n’est pas quelqu’un ou quelques uns en particulier, il est un syndrome.
Il n’est pas exclu que dans le futur, je lance de cette manière là, des appels à débat sur des sujets précis ou en réaction à des titres de collègues, on peut faire du Rap qui résonne et interroge. C’est mon envie d’aujourd’hui pour mes raps, même si je n’en ferai pas des disques.
Que penses-tu de la scène actuelle ? De l’industrie musicale et spécialement du HH en France ?
Avec mes enfants ados je suis vraiment connecté à la scène actuelle, même si parfois j’ai mal au crâne, je dois reconnaître que quand il y a du travail ça me touche. J’aime le rap, et contrairement à bon nombre de mes collègues de ma génération, je ne suis pas allergique au Trap, il y a des béats qui me plaisent pas mal. Ce n’est pas évident de poser un regard lucide sur l’évolution du Hip Hop aujourd’hui. On peut déjà dire qu’il y a des cours de danse Hip Hop pratiquement partout, et ça, ce n’est pas rien.
Les battles sont de plus en plus populaire, le monde du graffiti, je n’en suis pas assez proche pour te parler de son évolution, je connais quelques enragés qui, lorsque je vois leurs oeuvres, me remplissent de bonheur. Le Human beatbox n’a jamais été aussi structuré et dynamique, ils ont un réseau fort, j’ai l’impression que les choses se sont corsées pour les DJ, ça ce serait plutôt à toi de me le dire, par exemple, et je le dis sans nostalgie, juste pour constat : les scratchs sur les albums de rap, c’est devenu extrêmement rares.
Je suis attentif à l’évolution de la Zulu Nation, je pense que ce mouvement qu’est le Hip Hop ne dois jamais cesser de se structurer, c’est la garantit qu’il reste fidèle à chacun d’entre nous, dans l’expression de toutes nos diversités et divergeances.
Tu es de Bobigny et y vit encore, parle nous du rap de Boboche et surtout du Festival Terre(s) HH que tu suis chaque année ?
Nakk Mendosa, Les Dix, Fizzy Pizzy, Worms T, Ike et plein d’autre, le Rap à Boboche a rarement été aussi présent, ça fait plaisir. Je fais parti de ce qui ont vu les débuts laborieux des concerts de rap au Canal 93, je ne peux qu’être satisfait de l’impact de Terre(s) HH aujourd’hui, il y a un public qui suit, des salles bien remplies, ça fonctionne et c’est une très bonne chose pour la ville.
Peux-tu nous résumer en quelques mots les concerts/live auxquels tu as assisté dans le Cadre du Festival Terre(s) HH à Bobigny ?
Je suis venu voir le concert événement de La Cliqua, c’était magnifique parce que la salle était pleine, parce que le show était de qualité et que l’événement était tant sur scène que dans la salle, avec pas mal d’anciens dans le public : Dj Fab, Batsh, EJM, pour ne citer qu’eux. J’ai vu, par ailleurs, à un autre moment, juste un petit bout du concert de Sianna, et je trouve que cette rappeuse est véritablement dangereuse, superbe voix, flow limpide, ça fait du bien ! Et dans les divers show que j’ai vu, j’ai vraiment apprécié la dextérité et la précision de A2H, un bon technicien aux lyrics affûtés. Bien entendu, tout ceci n’engage que moi.
Un coup de cœur ?
Mon coup de cœur n’est pas musical, mais plutôt politique et social, il est dans ce que j’observe dans la façon dont certains se battent au quotidien sur le terrain. Je suis admiratif devant ceux qui passent leur temps à se soucier des autres, je pense à Madjid Messahoudiene, Almamy Kanouté, Fouad Ben Ahmed, le collectif OEIL et tant d’autres…
Un coup de gueule ?
Je pourrais faire un abécédaire avec mes coups de gueule …
- A, comme Affairisme,
- B, comme BOUNA
- … jusqu’à Z comme ZYED …
Que veux-tu que les gens retiennent de toi ?
Je ne veux rien, je ne suis pas naïf, les gens retiennent ce qu’ils veulent, ou ce qu’ils peuvent.
Un livre de chevet ?
Khalil Gibran – Le Prophète
Quel est le meilleur album de rap français selon toi ?
Question délicate… si je ne devais en citer qu’un seul ce serait RAPATITUDE, parce que c’est l’album qui m’a fait écouter du rap français, et t’as vu où ça m’a mené ? Héhéhé !
Idem en rap Us ?
Quand au Rap US, pour moi, musicalement NIGGAZ4LIFE de NWA reste indétrônable… Ouais je sais … tout cela date un peu ! Mais ça ne veut pas dire que je n’écoute que des vieilleries, au contraire, les albums d’aujourd’hui sont calibrés différemment. Le rap maintenant à une historicité, des périodes marquées par un certain type de sonorité, de groove, moi je peux écouter un gros hit mainstream et ensuite bloquer sur Run The Jewels, y’a pas de règles.
Serais-tu d’accord que tes enfants prennent le mic, fassent du rap ?
Je serai d’accord pour que mes enfants fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour être heureux, dés lors que cette quête ne se nourrisse pas du désespoir d’autres.
Quel avenir pour nos enfants ?
Vaste question ! J’en sais foutrement rien … Charge à nous de laisser quelques traces pas trop dégueulasses.
Que signifie pour toi HipHop4ever ?
Ça résume assez bien ce que je pense de cette culture. Une fois qu’on y a mis les pieds, il n’y a pas de retour possible. On peut s’en écarter, prendre du recul, mais ce que le Hip Hop a remué en nous change radicalement notre regard, ou plutôt la façon dont on pose notre regard sur le monde. Ce qui est fait par nous doit rester à nous, et c’est, malgré tout ce qu’on en pense, ce qui est en train de se passer.
Le traditionnel mot de la fin ?
On n’est pas toujours compris dans ses choix ou ses directions, ce qui importe c’est notre trajectoire, on peut régulièrement interroger les différents paramètres, recalculer de temps à autre cette même trajectoire et s’y tenir, autant que nécessaire. L’invention réside dans le fait de se réapproprier sans cesse ce qui fait que nous faisons écho au monde… au monde tel que nous le vivons. Bon, j’arrête là … PEACE !
(C) Photos – DR – Photos1 & 4 (Portraits) par Cyrille CHOUPAS, Photo 3 par Céline BlackBird. Illustrations et bandeau par Koby.
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