Le climat, c’est compliqué, l’agriculture aussi, donc le lien entre les deux, c’est pas simple ! Essayons quand même, à partir de trois idées :1) du côté du climat, on a tendance à se focaliser sur les émissions liées aux énergies fossiles, comme si seule la transition ENERGETIQUE comptait. C’est très important, mais on verra que cela ne suffit pas.2) La défense d’une autre agriculture (agroécologie, agroforesterie, agropastoralisme, agriculture paysanne contre agro-business…) est le plus souvent liée à des questions d’alimentation saine opposée à la malbouffe, ou à la préservation de la biodiversité, ou au maintien de conditions de vie dignes pour les paysans du monde contre l’invasion des multinationales, l’accaparement de terres, etc. C’est essentiel, mais il est temps d’y ajouter des arguments climatiques. Ils sont très forts eux aussi. Je ne parlerai pas de l’enjeu de l’emploi, pas négligeable non plus, mais que j’ai déjà évoqué. Et pas non plus du lien qui existe entre la question de l’eau et celle du climat.3) On voit fleurir le thème de l’agriculture « climato-intelligente », porté par les milieux d’affaires et nombre de leurs relais politiques, mais pour l’essentiel je rejoins l’analyse d’Attac et de la confédération paysanne (voir ce texte excellent) qui « dénoncent les dispositifs donnant la priorité aux biotechnologies et à la finance carbone plutôt qu’aux savoir-faire et pratiques des paysans et paysannes. Ces projets ne répondent pas aux exigences de la lutte contre les dérèglements climatiques pas plus qu’ils ne peuvent relever le défi de la crise alimentaire ». C’est donc une autre « intelligence » de l’enjeu que je vais privilégier.LES EMISSIONS DE GES DE L’AGRICULTURE : un cinquième du total !Dans les commentaires fort intéressants d’un billet récent, on trouvait une petite controverse sur les chiffres des émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture actuelle. L’un des commentateurs, citant de bonnes sources, fournissait le chiffre de 13,5% du total des émissions mondiales de GES, en ajoutant que l’agriculture française ne consommait que 5,7% de l’énergie finale en France. Un autre lui rétorquait, avec également de bonnes sources, que c’était beaucoup plus, d’une part si on tenait compte de tous les GES, d’autre part et surtout si on comptait non seulement les émissions liées à l’énergie consommée, mais aussi celles associées aux « réactions chimiques », au « changement d’affectation des sols » (précisions techniques via ce lien), etc.Au total, et en admettant la diversité des chiffres possibles selon les méthodes et le périmètre des comptes, je m’en tiendrai pour la France aux chiffres les plus récents du Ministère de l’Ecologie : l’agriculture compte pour environ 21% des émissions nationales. C’est moins que les transports (27,8%) et que les bâtiments (le résidentiel tertiaire, 23,5%) , mais l’agriculture arrive en troisième position, devant l’industrie (17,6%). Il est précisé que « les émissions de méthane (CH4) et de protoxyde d’azote (N2O) induites par des processus biologiques liées à la fertilisation azotée des sols agricoles (45 % des émissions sectorielles), ainsi que la fermentation entérique et les effluents d’élevage (43 %), représentent l’essentiel des émissions du secteur. »Quant à la part de l’agriculture dans les émissions mondiales, la FAOl’estime à 10 à 12 %, chiffre auquel il faut ajouter les émissions issues de la déforestation et du changement d’affectation des sols, ce qui situe alors la part de l’agriculture entre 18% et 20%. Ces émissions ont progressé de 14% en volume entre 2001 et 2011, et, si rien de sérieux n’est fait, elles progresseront d’environ 30% d’ici 2050. Point essentiel : dans les chiffres mondiaux, la part des émissions liées à l’usage d’engrais azotés est bien inférieure au chiffre français, mais « c’est la part qui augmente le plus rapidement ».Pour en finir avec ces chiffres d’émissions, il faut ajouter que l’agriculture industrielle et chimique à grande échelle s’accompagne en règle générale de transports à grande échelle et donc qu’il faudrait en tenir compte dans son « bilan GES du champ à l’assiette », qui deviendrait encore plus lourd. Je ne connais pas de tels bilans comparant l’agriculture intensive et l’agroécologie de proximité, mais il en existe probablement et les écarts doivent être énormes. Merci à d’éventuels lecteurs de contribuer sur ce point ou d’autres !Première conclusion : ce n’est pas seulement à cause des OGM, de la qualité nutritionnelle et sanitaire des produits agricoles qu’il faut s’en prendre aux lobbies agro-industriels, c’est aussi parce que leurs pratiques contribuent au réchauffement climatique bien plus que celles de l’agriculture paysanne, surtout quand ces dernières relèvent de l’agroécologie et des circuits courts. Et cette contribution destructrice est devenue énorme en termes d’émissions, qu’elles soient nationales ou mondiales.L’AGRICULTURE ET LES SOLS COMME « PUITS DE CARBONE » AU SERVICE DU CLIMATMais l’agriculture a une propriété particulière : elle émet des GES, mais elle contribue aussi à leur « élimination » ou séquestration. Et elle y contribue plus ou moins selon les pratiques.Vous trouverez sur le site AlterEcoPlus, que je trouve de plus en plus intéressant au fil des semaines, UNE EXCELLENTE INTERVIEW d’une personne exerçant une responsabilité importante : Monique Barbut, Secrétaire exécutive de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification. Titre : « Pour réduire nos émissions de CO2, il faut restaurer les terres agricoles ».Elle y montre d’une part qu’un vrai risque mondial existe de manquer de terres arables dans la période à venir compte tenu de facteurs multiples, d’autres part que le réchauffement climatique en cours tendra à aggraver les choses dans de nombreuses régions, mais qu’en revanche des politiques de préservation des sols peuvent avoir un effet positif considérable pour freiner ce réchauffement. Or presque personne n’en parle.LA MESURE LA PLUS PUISSANTE POUR ATTENUER LE RECHAUFFEMENT !Court extrait (mais reportez-vous à l’original complet) : « Si on restaurait chaque année 12 millions d’hectares par an, l’équivalent des terres productives que nous détruisons chaque année partout dans le monde - autrement dit si nous nous fixions un objectif de neutralité de la dégradation - nous arriverions à 500 millions d’hectares au milieu des années 2050.Non seulement ce gain de terres cultivables permettrait d’assurer largement notre sécurité alimentaire, mais CELA PERMETTRAIT A CET HORIZON DE SEQUESTRER CHAQUE ANNEE DANS LES SOLS L’EQUIVALENT DU TIERS DES EMISSIONS ACTUELLES DE GAZ A EFFET DE SERRE. La matière organique qui fertilise les sols est en effet principalement constituée du carbone et de l’azote capturés par les plantes durant leur phase de croissance. RECREER UN COUVERT VEGETAL POUR RENDRE LES TERRES A NOUVEAU FERTILES SERAIT LA MESURE LA PLUS PUISSANTE QUE L’ON POURRAIT ADOPTER POUR ATTENUER LE RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE, A UN COUT MOYEN INFERIEUR A 100 DOLLARS PAR HECTARE.Il est indispensable de jouer sur ce levier de la restauration des sols, car ses effets sont immédiats, à la différence de la transition énergétique : vous n’allez pas fermer demain toutes les centrales à charbon de la planète pour les remplacer par des renouvelables. Pendant les trente à cinquante années que prendra la transition énergétique, nous allons avoir besoin de séquestrer du carbone de façon massive et rapide pour contenir le réchauffement sous la barre des 2°C. Et la seule manière de le faire à un coût raisonnable, c’est la remise en état des terres dégradées. ». http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2015/03/20/l%E2%80%99agriculture-et-les-sols-comme-enjeux-climatiques-majeurs/
L’agriculture et les sols comme enjeux climatiques majeurs par Jean Gadrey
Publié le 20 mars 2015 par BlanchemancheLe climat, c’est compliqué, l’agriculture aussi, donc le lien entre les deux, c’est pas simple ! Essayons quand même, à partir de trois idées :1) du côté du climat, on a tendance à se focaliser sur les émissions liées aux énergies fossiles, comme si seule la transition ENERGETIQUE comptait. C’est très important, mais on verra que cela ne suffit pas.2) La défense d’une autre agriculture (agroécologie, agroforesterie, agropastoralisme, agriculture paysanne contre agro-business…) est le plus souvent liée à des questions d’alimentation saine opposée à la malbouffe, ou à la préservation de la biodiversité, ou au maintien de conditions de vie dignes pour les paysans du monde contre l’invasion des multinationales, l’accaparement de terres, etc. C’est essentiel, mais il est temps d’y ajouter des arguments climatiques. Ils sont très forts eux aussi. Je ne parlerai pas de l’enjeu de l’emploi, pas négligeable non plus, mais que j’ai déjà évoqué. Et pas non plus du lien qui existe entre la question de l’eau et celle du climat.3) On voit fleurir le thème de l’agriculture « climato-intelligente », porté par les milieux d’affaires et nombre de leurs relais politiques, mais pour l’essentiel je rejoins l’analyse d’Attac et de la confédération paysanne (voir ce texte excellent) qui « dénoncent les dispositifs donnant la priorité aux biotechnologies et à la finance carbone plutôt qu’aux savoir-faire et pratiques des paysans et paysannes. Ces projets ne répondent pas aux exigences de la lutte contre les dérèglements climatiques pas plus qu’ils ne peuvent relever le défi de la crise alimentaire ». C’est donc une autre « intelligence » de l’enjeu que je vais privilégier.LES EMISSIONS DE GES DE L’AGRICULTURE : un cinquième du total !Dans les commentaires fort intéressants d’un billet récent, on trouvait une petite controverse sur les chiffres des émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture actuelle. L’un des commentateurs, citant de bonnes sources, fournissait le chiffre de 13,5% du total des émissions mondiales de GES, en ajoutant que l’agriculture française ne consommait que 5,7% de l’énergie finale en France. Un autre lui rétorquait, avec également de bonnes sources, que c’était beaucoup plus, d’une part si on tenait compte de tous les GES, d’autre part et surtout si on comptait non seulement les émissions liées à l’énergie consommée, mais aussi celles associées aux « réactions chimiques », au « changement d’affectation des sols » (précisions techniques via ce lien), etc.Au total, et en admettant la diversité des chiffres possibles selon les méthodes et le périmètre des comptes, je m’en tiendrai pour la France aux chiffres les plus récents du Ministère de l’Ecologie : l’agriculture compte pour environ 21% des émissions nationales. C’est moins que les transports (27,8%) et que les bâtiments (le résidentiel tertiaire, 23,5%) , mais l’agriculture arrive en troisième position, devant l’industrie (17,6%). Il est précisé que « les émissions de méthane (CH4) et de protoxyde d’azote (N2O) induites par des processus biologiques liées à la fertilisation azotée des sols agricoles (45 % des émissions sectorielles), ainsi que la fermentation entérique et les effluents d’élevage (43 %), représentent l’essentiel des émissions du secteur. »Quant à la part de l’agriculture dans les émissions mondiales, la FAOl’estime à 10 à 12 %, chiffre auquel il faut ajouter les émissions issues de la déforestation et du changement d’affectation des sols, ce qui situe alors la part de l’agriculture entre 18% et 20%. Ces émissions ont progressé de 14% en volume entre 2001 et 2011, et, si rien de sérieux n’est fait, elles progresseront d’environ 30% d’ici 2050. Point essentiel : dans les chiffres mondiaux, la part des émissions liées à l’usage d’engrais azotés est bien inférieure au chiffre français, mais « c’est la part qui augmente le plus rapidement ».Pour en finir avec ces chiffres d’émissions, il faut ajouter que l’agriculture industrielle et chimique à grande échelle s’accompagne en règle générale de transports à grande échelle et donc qu’il faudrait en tenir compte dans son « bilan GES du champ à l’assiette », qui deviendrait encore plus lourd. Je ne connais pas de tels bilans comparant l’agriculture intensive et l’agroécologie de proximité, mais il en existe probablement et les écarts doivent être énormes. Merci à d’éventuels lecteurs de contribuer sur ce point ou d’autres !Première conclusion : ce n’est pas seulement à cause des OGM, de la qualité nutritionnelle et sanitaire des produits agricoles qu’il faut s’en prendre aux lobbies agro-industriels, c’est aussi parce que leurs pratiques contribuent au réchauffement climatique bien plus que celles de l’agriculture paysanne, surtout quand ces dernières relèvent de l’agroécologie et des circuits courts. Et cette contribution destructrice est devenue énorme en termes d’émissions, qu’elles soient nationales ou mondiales.L’AGRICULTURE ET LES SOLS COMME « PUITS DE CARBONE » AU SERVICE DU CLIMATMais l’agriculture a une propriété particulière : elle émet des GES, mais elle contribue aussi à leur « élimination » ou séquestration. Et elle y contribue plus ou moins selon les pratiques.Vous trouverez sur le site AlterEcoPlus, que je trouve de plus en plus intéressant au fil des semaines, UNE EXCELLENTE INTERVIEW d’une personne exerçant une responsabilité importante : Monique Barbut, Secrétaire exécutive de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification. Titre : « Pour réduire nos émissions de CO2, il faut restaurer les terres agricoles ».Elle y montre d’une part qu’un vrai risque mondial existe de manquer de terres arables dans la période à venir compte tenu de facteurs multiples, d’autres part que le réchauffement climatique en cours tendra à aggraver les choses dans de nombreuses régions, mais qu’en revanche des politiques de préservation des sols peuvent avoir un effet positif considérable pour freiner ce réchauffement. Or presque personne n’en parle.LA MESURE LA PLUS PUISSANTE POUR ATTENUER LE RECHAUFFEMENT !Court extrait (mais reportez-vous à l’original complet) : « Si on restaurait chaque année 12 millions d’hectares par an, l’équivalent des terres productives que nous détruisons chaque année partout dans le monde - autrement dit si nous nous fixions un objectif de neutralité de la dégradation - nous arriverions à 500 millions d’hectares au milieu des années 2050.Non seulement ce gain de terres cultivables permettrait d’assurer largement notre sécurité alimentaire, mais CELA PERMETTRAIT A CET HORIZON DE SEQUESTRER CHAQUE ANNEE DANS LES SOLS L’EQUIVALENT DU TIERS DES EMISSIONS ACTUELLES DE GAZ A EFFET DE SERRE. La matière organique qui fertilise les sols est en effet principalement constituée du carbone et de l’azote capturés par les plantes durant leur phase de croissance. RECREER UN COUVERT VEGETAL POUR RENDRE LES TERRES A NOUVEAU FERTILES SERAIT LA MESURE LA PLUS PUISSANTE QUE L’ON POURRAIT ADOPTER POUR ATTENUER LE RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE, A UN COUT MOYEN INFERIEUR A 100 DOLLARS PAR HECTARE.Il est indispensable de jouer sur ce levier de la restauration des sols, car ses effets sont immédiats, à la différence de la transition énergétique : vous n’allez pas fermer demain toutes les centrales à charbon de la planète pour les remplacer par des renouvelables. Pendant les trente à cinquante années que prendra la transition énergétique, nous allons avoir besoin de séquestrer du carbone de façon massive et rapide pour contenir le réchauffement sous la barre des 2°C. Et la seule manière de le faire à un coût raisonnable, c’est la remise en état des terres dégradées. ». http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2015/03/20/l%E2%80%99agriculture-et-les-sols-comme-enjeux-climatiques-majeurs/