On ne sait pas s'il est aveugle ?
S'il est sourd ?
Ou ensemble aveugle et sourd ?
Il vit avec sa femme "Primera".
Comme s'il était seul.
Comme quelqu'un qui ignore l'amour.
Elle a beau crier, il ne l'entendra pas.
Elle a beau prier, il ne la verra pas.
La nuit, quand elle s'endort,
il prend sa pipe à opium,
et d'un trait épuise toute la pipée.
Tout s'éteint sur la scène.
Et à travers la fumée qu'il dessine,
on devine une superbe créature
projetée sur le devant de la scène.
Étoile dansante
incarnée en danseuse étoile : "Segunda"
c'est son nom.
Le nom de cette maitresse
et déesse de la nuit,
qui apparaît, toujours sous les couleurs du jour.
Et se met à danser sur ses airs préférés :
Rachmaninov pour le violet.
L'indigo pour le Boléro de Ravel.
Bleu comme Bach.
Vert pour Wagner.
Orangé pour Brahms.
Et rouge Carmen pour Bizet.
Et à la fin de chaque visite,
elle exprime un vœu et l'invite à la rejoindre.
Mais comme il ne réagit pas,
elle lui fixe un rendez-vous pour le lendemain.
Primera le jour,
Segunda la nuit.
Double vie pour un seul homme.
Et un beau jour
il décide de passer de l'autre côté du miroir.
Il empoisonne sa femme
et allume sa pipe.
Une fois, puis deux, puis trois.
Et Segunda n'apparaît toujours pas.
Pire : Segunda n'apparaîtra plus.
L'argument :
Il n'y a pas d'échappatoire possible.
Nous sommes les otages du réel.
Des otages qui hallucinent à travers les barreaux d'une cage imaginaire.