Un film de Roman Polanski (1974 - USA) avec Jack Nicholson, Faye Dunaway, John Huston, Perry Lopez, Darrell Zwerling, John Hillerman
Du bon film noir, comme dans le temps...
L'histoire : Los Angeles. Années 40. Jake Gittes est un ancien flic, aujourd'hui détective privé. Précis, professionnel, investi. Mais il s'ennuie un peu avec le gros de sa clientèle : des époux ou épouses trompés... Et voici encore une fois une femme qui se présente : elle soupçonne son mari, grand ponte au Service des Eaux, d'avoir une maîtresse. Jake commence son enquête. Qui se complique : le mari disparaît et une magnifique blonde débarque. Elle est la véritable épouse ; l'autre femme était... Mais qui était-elle donc ? Jake va tirer les ficelles d'un drame aux multiples facettes.
Mon avis : Ouf, après ces deux grosses vagues qui ont failli m'engloutir, Benoît Jacquot et son univers mutique et liquide, puis Chandor et son marin d'eau douce, voilà un bon vieux Polanski ! Je savais bien qu'il ne me décevrait pas, lui, au moins, mon Roman !
Je ne connaissais pas ce grand classique. Une lacune qu'il me fallait combler, voilà qui est fait. Je ne suis pas spécialement fan des policiers, il faut vraiment qu'ils soient bien fichus, avec une intrigue tortueuse, une ambiance, style film noir envoûtant, comme on en faisait autrefois. C'est tout à fait ça.
D'abord, tout de suite, la beauté des images m'a frappée. Et elle est de mise pendant tout le déroulement du film. Des cadrages aux petits oignons, hyper soignés, respectant les "règles" de l'harmonie, des proportions, de la composition. La technique ne se voit pas (sauf quand on la cherche... et quand on se prête à l'exercice, c'est passionnant), mais l'esthétique fait du bien à l'âme. Vous entrez dans un univers, glaçant, sous le chaud soleil californien. On comprend déjà que l'opposition nous colle au fauteuil. Et puis il y a cette volonté d'être au plus près des personnages, gros plans, taille, plans américains, on n'est jamais loin des protagonistes, on a l'impression de participer aux conversations. Et comme les acteurs sont sublimes, à commencer par l'immense Jack Nicholson, qui en plus était tellement beau gosse quand il était jeune, ce n'est que du bonheur ! J'ai même aimé Faye Dunaway, qui d'habitude m'énerve. Elle est parfaite dans ce rôle un peu schizo. Sous des dehors de femme fatale, belle comme un soleil (tiens...), mystérieuse et coupante comme la glace (tiens, tiens...), elle s'avère être une victime, complètement détruite par d'inavouables secrets.
Les scènes d'extérieur jour sont écrasées de soleil (ah les orangeraies...), les scènes de nuit sont froides et glauques.
Ne reste plus qu'à nous ficeler définitivement avec une histoire très bien écrite, qui offre à dose homéopathique, jusqu'au bout, ses surprises et ses révélations, dans un contexte de corruption économique et financière, avec un héros comme on les aime, grande gueule, forte tête, qui se relève toujours quand on le frappe, hyper futé et au charme irrésistible. Quand on pense que Polanski lui a collé un gros pansement sur le nez pendant au moins une heure de film... et qu'il reste sexy quand même (et drôle)... waouh !
A noter que le contexte de la "guerre de l'eau" est un épisode réel de l'histoire de Los Angeles et que la rupture du barrage de St. Francis a bien eu lieu.
Ben voilà, finalement, c'est simple de faire un bon film !
Pourquoi ce titre, Chinatown ? Parce que notre héros était policier autrefois, et affecté à ce quartier, dont il a gardé des mauvais souvenirs... Et le film, où rien n'évoque l'Asie, à part quelques employés de maison, se termine... à Chinatown. Mal. Je peux bien le dire : c'est un film noir, je ne spoile rien !
A noter que Polanski était très réticent à venir tourner à Los Angeles. Le projet était à l'étude, et Nicholson pressenti, mais le scénario seulement ébauché. Lorsqu'on proposa la co-écriture et la réalisation à Polanski, il hésita longuement : il ne souhaitait plus venir dans cette ville où sa femme avait été sauvagement assassinée quatre ans plus tôt... Trois ans après, il était arrêté pour cette affaire de viol sur mineure, pas vraiment élucidée, et qui lui colle toujours à la peau. Une ville maudite pour Polanski...
Critiques presse de l'époque : ""Chinatown" est l'œuvre d'un virtuose. Et les virtuoses de cette classe sont rares." (Le Monde) ; ""Chinatown" est le film policier parfait, parce qu'il est bien plus qu'un simple film policier. Il est l'aboutissement d'un genre." (Télérama) ; ""Chinatown", c'est aussi Hollywood, un Hollywood crépusculaire aux lumières presque éteintes, mais qu'on ne peut se décider à quitter. (…) Tableau lugubre à base de désanchantement, de régression, de pulsion de mort." (Cahiers du Cinéma).
Tout est dit.