On se retrouve dans le même village Saint Benjamin, devant le même tableau champêtre, représentant un curé borné et un maire méprisable en relation avec une femme qui se serait enlevé la vie. Jusqu’ici, c’est similaire à la saga de Maggie. Les différences maintenant. Le suicide de cette femme sexuellement désirée par à peu près tous les mâles du village suscite de sérieuses interrogations, particulièrement de la part des femmes de la paroisse. La posture du cadavre sans vêtement est pour le moins saugrenue : tête première dans un puits, noyée depuis quelques heures. Quel pourrait être le mobile de ce suicide, d’autant plus que Rachel n’a jamais été aussi amoureuse de sa vie. Après une relation torride, son Ryan est parti faire la guerre et ils s’écrivent des lettres passionnées.
Il y a de quoi mener une enquête en règle mais plusieurs hommes s’y opposent et en seraient dérangés : les voisins, le curé, le maire et un vil commerçant soupçonné de vols à répétition. Chacun pourrait avoir une raison de l’avoir tuée.
Au retour du fiancé, une enquête sera menée par un policier plutôt timoré, tandis que le soldat Ryan et son meilleur ami, accompagné de la sœur de la défunte partiront eux aussi à la quête d’indices pour trouver le meurtrier, désirant effacer l’hypothèse du suicide.
Comme dans Maggie, les personnages sont colorés et typiques et les relations amoureuses relatées avec juste ce qu’il faut de mystère et de romantisme. Daniel Lessard sait manier l’histoire amoureuse. D’ailleurs, ce que j’ai préféré dans ce roman est la période où les amants se fréquentent. Nous assistons à l’apprivoisement (les différences de langue et de religions), le cœur de l’étreinte et ensuite le départ et ses lettres enflammées. Ces passages sont les meilleurs. Rarement ai-je cru à ce point à un amour torride dans des lettres.
Le personnage de Rachel est mystérieux et par là, devient fascinant. Elle est considérée sauvageonne par la plupart des villageois ou à tout le moins lente d’esprit. Jeune, elle est arrivée seule pour s’acheter une maison dans le village et cela émoustille les mâles en manque de sexe. Une femme ne peut vivre sans un homme, et tous ses attributs, est la prémisse du désir ardent de ces mâles en rut. J’avoue que l’auteur ne fait pas une belle part aux habitants mâles d’un certain âge dans cette histoire. Les personnages féminins du même âge (35-55 ans) sont toutes plus sages, qu’on se le tienne pour dit.
Le soldat est attachant et crédible jusqu’au moment où il apprend la mort de celle qu’il adulait. Sa douleur est si rapidement effacée pour les besoins de l’enquête que je me suis sentie dans un roman. Dans la « vraie » vie, une période d’effondrement aurait immobilisé l’homme ou à tout le monde aurait donné des ratés dans sa performance. Voilà un homme valeureux, on peut presque parler de superman.
J’ai aimé suivre de près les dédales de la relation des deux sœurs, les non-dits et la culpabilité sous-jacente. Nous retrouvons dans ce roman la même force que dans Maggie, la présence intense d’un esprit de village. C’est palpable et apprécié des citadins que nous sommes à l’époque individualiste qui sévit présentement.
Et je vous avise qu’une fois le livre terminé, vous aurez un furieux goût de déguster des topinambours.