Nous sommes tous choqués, interloqués, cassés, estomaqués. Encore la barbarie obscurantiste qui tue sans discernement, aussi bête que méchante, aussi terrifiante qu’aveugle.
Lorsque comme vous tous, j’ai eu l’alerte sur mon smartphone, je n’ai pas réagi de suite. Comme tout trauma, la réaction n’est jamais immédiate. Ma sœur m’a écrit et m’a dit, quote, à l’heure du déjeuner : « encore un attentat. J’en ai la nausée. Je ne peux pas manger. »
Qu’on l’avoue ou non, on porte inconsciemment le poids de ces horreurs. Comme le disait justement Nawell Madani lors d’une interview chez Taddei sur Europe 1 : « Dès qu’il y’a un attentat, on se dit tous – pourvu que ce ne soit pas un arabe. Parce que là, on va encore en prendre pour des semaines de méfiance, de peur, de gros titres de journaux, d’amalgames en tous genres ».
La vérité, c’est que nous sommes tous visés, tous victimes. Il n’y’a juste pas d’amalgame possible à commettre. Musulmans d’ici et d’ailleurs, non-musulmans de là-bàs et d’ici, nous sommes tous les cibles, morales ou physiques à abattre. Ce qui drive ces tueurs aveugles et sanguinaires, ce n’est pas la religion. C’est l’horreur et la crainte conjuguées de la liberté. La liberté de penser, la liberté de s’aimer, la liberté de prier, de croire, de ne pas croire, de méditer, de s’habiller, de s’interroger, de se cultiver, d’apprendre, de penser, de réfléchir, de douter. Et, nous, citoyens européens de confession musulmane, sommes profondément visés dans notre identité.
Ce qu’ils prônent, c’est le totalitarisme. Je sais que ça horripile beaucoup de monde lorsque nous, citoyens de confession musulmane disons cela, mais ces psychopathes n’ont rien à voir avec l’Islam. C’est un cancer de l’Islam, certes. Il en provient, mais il n’est qu’un amas toxique, dénaturé, se répandant de manière virale, gangrénant petit à petit toute société cible. Qu’elle soit musulmane ou non.
Comme le dit Ismael Saidi, à l’affiche avec Djihad dépassant les 10 000 spectateurs « le mal est une responsabilité partagée. Une génération a été abandonnée des pouvoirs publics, ghettoisée de la société, les adeptes du terrorisme ont profité du manque d’organisation et de contrôle sur l’enseignement de la religion pour répandre un islam des caves où l’on a prêché en toute impunité la parole des ténèbres. »
J’ai peur, je suis dégoutée, je pleure à l’intérieur car je refuse que mes enfants aient peur, eux-aussi. Je refuse de devoir leur expliquer que l’on vit dans une société où l’on peut mourir, pour rien, pour un mot, pour une croyance, pour avoir été au mauvais endroit au mauvais moment. J’exècre le fait de devoir leur dire que s’instruire et se cultiver est passible de peine de mort sous kalachnikov. Mais surout, j’ai peur pour mes enfants qui grandissent dans un monde où l’on préfère accuser et détester l’autre, si l’on a décidé de lui coller un point commun avec l’ennemi, plutôt que de se serrer les coudes pour combattre ensemble.
Cet ennemi n’est pas tombé du ciel. Il a été créé et nourri par un ensemble de circonstances malheureuses, dans lesquelles chacun à sa responsabilité. Je ne prétends pas ici tirer des conclusions, je ne suis ni sociologue, ni politologue, ni philosophe. Je suis juste une citoyenne du monde qui en a marre d’avoir mal au ventre quand un drame se passe. Qui est saoulée de constater qu’on attend que je me désinvestisse, désolidarise du sang qui coule. Qui est fatiguée de se sentir écartelée entre deux cultures et deux identités qu’elle voudrait pourtant bien vivre ensemble. Qui aimerait sentir qu’on est qu’un ensemble et pas des sous-ensembles. Ma confession, celle qui est à l’intérieur de moi, elle, n’a rien de politique, de revendicateur, elle ne vous regarde pas, elle ne concerne personne d’autre que moi. Il parait que c’est ça, la laïcité. Alors ne m’abandonnez pas, ne me visez pas, ne me montrez pas du doigt. J’ai besoin de vous, chers concitoyens. Sinon, ils auraient tout gagné.
Béa Ercolini, redac chef du Elle Belgique, m’a dit « personne ne peut dire qu’il n’est pas concerné. Des musulmans ont été tués. Musulmans et non-musulmans, d’ici et d’ailleurs subissent cette violence et en sont victimes. Un travail sur soi collectif doit être entamé. Un vrai Djihad, celui de Chouraqui »
En attendant, ce soir, mon cœur est tunisien, il pleure et il saigne.