Irène

Publié le 19 mars 2015 par Mentalo @lafillementalo

Quand j’arrive au village, Irène est déjà là, vissée à sa chaise, sur le pas de la porte.

A la fraîche, pour humer l’air du matin. Quand le soleil donne un peu trop fort, la chaise reste au frais, à l’entrée du couloir, avec Irène dessus. Parfois, la chaise s’aventure à l’ombre de l’arbre, avec Irène dessus bien sûr. Irène s’ennuie, peut-être n’a-t-elle pas la télé, en tout cas lui préfère-t-elle l’air du dehors. Et sa chaise de cuisine, raide et droite, avec les pieds métalliques et le dessus en formica rayé.

Ainsi Irène voit-elle tout, sait-elle tout. Des familles qui s’agrandissent et des landaus qui passent devant sa porte va falloir les élever ! , des vélos qui dévalent la pente et des genoux égratignés va falloir les soigner! . Des amoureux qui se retrouvent en cachette et puis qui se marient. Des allées et venues, du bus des collégiens, du camion de pain, de la voiture jaune de la factrice. Année après année, Irène est là, témoin plus ou mois silencieux de la vie et du temps qui passe. Devant la porte elle a mis quelques bacs à fleurs, histoire de s’occuper quand rien ne passe devant sa porte. Les jours de pluie sont tristes et longs, alors parfois Irène sort tout de même sa chaise, et puis son parapluie. Les mains vides sur les genoux, toujours. Peut-être qu’au début elle tricotait ? je ne sais plus. Irène est là, c’est tout. Le matin, le midi, le soir. Irène ne rentre que pour manger.

Quand son amie Lucille, ma chère Lucille, est partie sans prévenir, Irène n’est pas allée à l’office, alors que tout le village la pleurait. Elle avait trop de chagrin, et puis ses jambes, ses satanées jambes, qui ne l’auraient pas portée, a-t-elle dit. Le lendemain, j’ai croisé Irène au centre commercial, avec sa fille. Elle a fait semblant de ne pas me voir, alors moi aussi. Et Irène a repris sa place sur sa chaise, comme avant, comme toujours.

Puis Irène a eu des ennuis de santé, ces satanées jambes, toujours, elle a rapproché un peu plus chaque jour sa chaise de la porte d’entrée.

Puis, l’autre dimanche, j’ai appris que la maison d’Irène avait été vendue, dites donc ils étaient pressés les héritiers, j’ai dit oui bien sûr, et j’ai pensé, je ne savais même pas qu’Irène avait rejoint Lucille, c’était l’hiver, et l’hiver, la chaise d’Irène sortait un peu moins.