COMMUNIQUÉ DE PRESSE
NOUVEAUX TERRITOIRES DE L'IMAGE
Vernissage Mardi 17 Mars 2015 à 18h30
Exposition du 18 Mars au 18 Avril 2015
Une sélection d'œuvres de six artistes, la plupart récemment acquises par le Frac, sera exposée, dont un mural signé d'Abdelkader Benchamma et deux dessins, dons de Belkacem Boudjellouli. Hors collection, le public aura l'occasion de découvrir pour la première fois en région les vidéos de Bertrand Dezoteux.
NOUVEAUX TERRITOIRES DE L'IMAGE
On pourrait dire de toute image qu'elle réunit (à la façon d'un signe composé d'un signifié et d'un signifiant) deux dimensions : un contenu qu'elle représente (une représentation, un certain " figuré ") et une modalité d'inscription, une mise en œuvre matérielle. Ainsi, une image est une représentation qui se donne à travers un médium particulier : un cheval dessiné au fusain n'est pas une fusée réalisée avec un logiciel numérique sur ordinateur... Il est probable que les " nouvelles technologies de l'image " permettent de représenter d'autres choses que celles que pouvaient figurer le charbon de bois ou les peintures à l'eau et à l'huile. Car, quand bien même ce ne seraient pas véritablement d'autres réalités, elles les représenteront, quoiqu'on en veuille, autrement...
L'exposition Nouveaux territoires de l'image ne vise pas à montrer seulement des œuvres réalisées avec des techniques (ou des technologies) actuelles. Elle souhaite surtout rendre perceptible l'écart entre des moyens anciens - et ce qu'ils permettent de figurer - et des procédés actuels - et les espaces nouveaux qu'ils explorent.
Honneur au charbon de bois ! Il est certain qu'il compte parmi les plus anciens et prestigieux matériaux naturels que les hommes aient utilisés pour mettre les choses et les êtres en image. Se défera-t-on du charbon, beaucoup plus salissant qu'un ordinateur ? Rien n'est moins sûr. On voit comment cette technique a pu faire l'objet, au fil des siècles, d'un raffinement très poussé : lorsque Belkacem Boudjellouli représente un groupe de cowboys, ce n'est pas un simple dessin mais l'équivalent d'une peinture aux dimensions imposantes, les nuances des gris rivalisant avec la richesse des premières photographies. Au final, le tableau de groupe offre de ces " étrangers " des possibilités d'interprétation très ouvertes, en une confrontation quasi physique avec le spectateur. Mais je vois dans la persistance de ces moyens une autre raison que le métier : dessinant un grand pin franc, l'artiste ne suggère-t-il pas un lien très profond entre son sujet et le matériau qu'il emploie ? S'il n'y a pas de raison de diviser le signe en deux, il n'y a pas de raison de le faire avec les images. Elles sont, elles aussi, d'une texture qui souvent, a " à voir " avec la matière du monde. La poussière de bois est ce dont l'Homme aura toujours besoin pour
représenter les êtres vivants au milieu desquels il cherche son chemin, en étant composé tout comme eux et devant fatalement, comme dit La Bible, y " retourner ".
Le dessin à l'encre est presque aussi ancien que celui au charbon. Alors que ce dernier favorise la suggestion des corps réels dans la lumière qui les modèle (et les dissout...), l'encre favorise leur délimitation : elle fait de chaque chose un signe, l'élément d'un langage qui peut se développer grâce aux rapports des éléments qui le composent. Avec des lignes, Abdelkader Benchamma peut écrire - davantage que décrire - des paysages imaginaires, qui sont faits de strates répétitives et empilées, comme une lente et progressive mélodie qui fait vibrer la surface du papier. Le médium ouvre alors vers des contrées presque irréelles, et les rêveries du monde intérieur. L'art de représenter, se rapprochant d'un langage de signes, peut se risquer à raconter avec ses images, c'est-à-dire à se transporter, comme la voix des conteurs, dans l'espace. Un mur suffit alors pour imaginer une tempête - je crois que c'est celle des Mots - qui emporte avec elle des êtres et des choses qui ont été déracinés et renvoyés à l'arbitraire d'un art déroutant.
L'artiste japonais Masanao Hirayama est l'un de ces déroutants dessinateurs qui " écrivent " des images très sommaires, et semblent chercher, dans une confrontation permanente avec les technologies contemporaines, à réinventer quelque alphabet neuf, fait pour le monde
d'aujourd'hui. Regardant le monde à travers l'écran de son ordinateur, l'artiste y saisit en quelques traits les choses qu'il voit, surfant sur Internet ou farfouillant dans toutes sortes de bases d'images. Puis ses dessins schématiques sont composés, articulés par deux ou trois, comme en un balbutiement inédit qui se construit par séquences. Légèreté et souplesse sont les qualités les plus sûres de cet art faussement facile : disons " simple ", comme l'entendait Gil J. Wolman dans son imparable " Plus c'est simple, plus c'est beau ! "
On retrouve cette confrontation avec les outils technologiques dans les inquiétantes photographies de Thibault Brunet. Les images de cet artiste sont issues de jeux d'ordinateur qu'il a parcourus et dont il a " capturé " (prises de guerre ?) certains moments, vides de tout acteur, guerrier ou soldat d'une Apocalypse moderne. De quelle réalité nous parlent ces tableaux de guerre, sensuels et morbides ? Où nous entraînent-ils ? Quelle violence et quelle peur perpétuent-ils dans notre propre obsession de voir et de savoir ce qui se cache dans les images ? Assurément, nous sommes, avec ces œuvres, dans un monde qui nous est à la fois familier et totalement étranger. C'est bien la technologie qui produit ce sentiment d'inquiétude. Nous la tenons pour la cause de toutes les dérives, mais nous sommes vis-à-vis d'elle comme avec notre meilleur ennemi : elle fait de nous ce que nous voulons... Elle répond autant à nos pulsions de vie qu'à nos pulsions de mort, à notre désir de l'autre qu'à notre peur de lui... Aussi, dans le labyrinthe des images, c'est à chacun de choisir le couloir qu'il veut emprunter.
La complexité des images se retrouve encore dans les pièces photographiques d'Aurélie Pétrel. L'espace y paraît hanté par d'étranges présences silencieuses, comme dans Meute/Pack (2011), où le panneau de résine sur lequel l'image est collée repose au sol à la manière des chiens que l'on aperçoit, tapis dans l'ombre. C'est comme si le sol réel (du présent) était prolongé dans l'image, depuis un espace ancien (et religieux, dans un " retour du refoulé " de l'histoire de l'art et des mythes...), espace du fond duquel le spectateur a le sentiment d'être rappelé... D'une autre manière, les Variations (2011) sont des impressions sur verre et plexiglas dans lesquelles l'image offre d'autres possibilités de figuration de l'espace. Les teintes douces et lumineuses ouvrent des recoins vers lesquels on voudrait se diriger mais dont on ne parvient pas à comprendre les degrés de réalité. Autrement dit, l'espace est un " feuilletage ", cela est connu : les artistes sont, depuis toujours, les maîtres de ses leurs fictions .
Mais les moyens techniques actuels offrent d'autres possibilités encore. Avec Bertrand Dezoteux, guest star de cette exposition, nous revenons aux ordinateurs. Les logiciels de création d'images en trois dimensions peuvent être mis en œuvre pour tourner des fictions, dans des espaces parfaitement abstraits qui simulent la réalité comme dans l'assouplissement d'un rêve futuriste et ancien. Le monde que nous semblons connaître s'y déploie selon des lois qui ne sont pas celles que nous connaissons... De cette façon, l'artiste peut dépeindre notre modernité comme une Fable, à la façon dont le faisait les artistes du passé, un Bruegel ou un Bosch. L'Histoire de France en 3D n'est pas à regarder seulement comme une prouesse technique : c'est surtout un commentaire imaginatif de l'époque que nous traversons et de ses interrogations fondamentales : qu'en est-il de la valeur, des besoins, de la pauvreté matérielle et spirituelle, des liens distendus des humains avec leurs territoires, des symboles et des... ? Quant au merveilleux cochon du film Txerri (2011), il renoue avec l'indignité de ceux de Rabelais et de Dada, comme avec toutes les fêtes païennes qui conservent une distance respectable à l'égard du Progrès...
Emmanuel Latreille
Directeur du Frac Languedoc-Roussillon
Abdelkader BENCHAMMA
Abdelkader Benchamma est né en 1975 à Mazamet ; il vit à Montpellier et à Paris.
Il est représenté par les galeries :
www.galeriedujour.com
www.leschantiersboitenoire.com
" Si une image présente ne fait pas penser à une image absente, si une image occasionnelle ne détermine pas une prodigalité d'images aberrantes, une explosion d'images, il n'y a pas imagination. "
Gaston Bachelard
Comme autant de plans séquences très brefs, les dessins d'Abdelkader Benchamma nous surprennent. Selon un cadrage réfléchi, ils surgissent, comme sous les feux d'une poursuite, ellipse lumineuse sensible qui met en évidence, derrière la précision des traits - fins, gras, mats ou vibrants - le blanc, acteur incontournable de chaque scène.
L'ellipse rhétorique, est alors révélée et la dualité de l'artiste apparaît, qui oscille entre la réalité d'une histoire, un dessin pour " constater et construire " et " le dessin en prise directe avec lui-même " relevant du " symbolisme personnel ", du " protocole privé " selon les termes de François Bouillon.
Une lutte acharnée entre deux personnages, un amoncellement de meubles et d'objets, des groupes d'individus accroupis errant dans la nuit, une forme, un organisme indéterminée - montagne ? cratère ? magma ? -, un passe muraille, un homme désespérément agrippé... les dessins de l'artiste sont autant d'instantanés qu'il offre au regard du spectateur.
L'œil saisit la scène en train de se jouer d'où sont exclues volontairement (?) toutes causes et toutes conséquences. À l'observateur d'imaginer ce qui n'est déjà plus dans l'image ou ce qui n'y est pas encore. Dès lors, la technique de Benchamma s'impose et - comme l'évoque Raymond Cogniat dans l'étude Dessins et aquarelles au 20e siècle, " les sentiments qui s'y expriment ne tiennent presque plus au sujet, mais à la nature même du trait... ".
" Ellipses en instantanés ", par Anne Bousquet
Belkacem BOUDJELLOULI
Belkacem Boudjellouli est né en 1960 ; il vit à Sète.
En savoir + sur l'artiste : www.vasistas.org
Frédéric Valabrègue, extrait de " La violence et le jeu ",Journal Sous Officiel , juillet 2003
Thibault BRUNET
Thibault Brunet est né en 1982 ; il vit à Lille.
Il est représenté par la galerie binôme, Paris.
Site de l'artiste : thibaultbrunet.fr/
" Entièrement réalisées a l'intérieur de jeux vidéo, les photographies de Thibault Brunet explorent des paysages et mettent en scène des situations purement imaginaires. Un réalisme confondant se de gage pourtant de ces images qui simulent le reportage de guerre (série " Landscape "), les vues urbaines ou d'architecture. Faux-semblants d'humanité et simulacres fournissent les ressorts narratifs de ces images. Embarque dans un monde reconstitue , l'œil est a la fois désorienté et fasciné . Thibault Brunet parvient ainsi a développer une forme singulière de dépaysement. Sa série " Landscape " s'inscrit en contradiction avec l'univers excitant du jeu vidéo puisqu'elle s'attache aux seuls décors, invitant a leur contemplation. Observateur solitaire de ces toiles de fond ignore es des joueurs, trop occupes par l'action, Thibault Brunet réalise un singulier carnet de voyage, livrant des tableaux ambigus de ces zones de non-jeu. "
Valerie Cazin
Bertrand DEZOTEUX
Betrand DEZOTEUX est né en 1982 à Bayonne ; il vit entre Bayonne et Paris.
Site de l'artiste : www.roubaix3000.com
Car oui, si l'arsenal de ses trouvailles visuelles étonnantes se niche dans les technologies sophistiquées, sa singularité, celle qui fait de lui
un artiste, réside dans un mélange de leur contre-emploi et de leur suremploi systématiques, au service d'un imaginaire débridé caracolant de surprise en surprise.La première réalisation que j'ai vu de lui, L'Histoire de France en 3D (2012), m'avait à la fois déconcerté et réjoui. On y voyage, en compagnie d'un Jules Michelet (place 55), étrangement ceint d'une écharpe tricolore, et d'un Roland Barthes en pull jacquard anthracite (place 53), tous deux aux faciès handicapés, à bord d'un TGV reliant son Pays basque natal à Paris. Le train traverse dare-dare, " depuis les dinosaures jusqu'aux années 80 " des paysages d'un surréalisme de cartoons faits de fromages géants et de villes aux architectures de parcs d'attraction, cependant que la voie semble, comme dans les westerns, se construire devant lui. On y croise un troupelet dejoggers argentés (ou plutôt de logos dejoggers ), un croissant aux allures de crustacé inquiétant, et un renard affamé au museau ingrat et au pelage de berger allemand, quêtant cinq francs pour s'acheter des cigarettes, qui réussit sans flatterie à récupérer un camembert généreusement cédé par le corbeau de La Fontaine. "
" Bertrand Dezoteux vu par Arnaud Labelle-Rojoux ". Documents d'artistes Aquitaine
Masanao HIRAYAMA
Masanao HIRAYAMA, dit Himma, est né en 1976 à Kobe, Japon ; il vit à Tokyo.
Site de l'artiste : www.himaa.cc
Les variations sont nombreuses. Parfois sur la même feuille. Parfois Hirayama fait deux fois, ou quatre fois le même dessin sur la même feuille. La feuille est divisée en deux ou en quatre, à la règle le plus souvent, et dans chaque case un dessin. Des variantes d'une même figure. Ou parfois des choses qui n'ont rien à voir. Les dessins tiennent avec peu de choses. Quelques traits plus ou moins appliqués, plus ou moins tordus. Mais surtout, les dessins tiennent par leurs épaisseurs. Deux ou trois épaisseurs de traits différentes. C'est ce petit détail qui rend le dessin plus savoureux. Un trait plus épais que les autres ce n'est pas grand-chose mais c'est déjà une attention, une attention à ce pas grand-chose qu'est un trait parmi d'autres.
Masanao Hirayama fait des livres. Souvent assez maigres. De volumes plutôt modestes. Parfois énormes. Ce sont des recueils de dessins. Des recueils souvent occupés de traits approximativement horizontaux remplissant plusieurs pages. Le dessin d'un texte absent. Son fantôme. Le dessin d'un texte dans un livre. Sa place, s'il y avait du texte. Mais il n'y en a jamais. C'est curieux ce texte dessiné. Ces lignes. On a l'impression que le livre lui-même est une esquisse. Une esquisse de livre.
Les livres d'Hirayama sont des livres d'artistes plus que des zines. Ce sont des objets complets et autonomes, des objets qui pourraient très bien trouver leur place dans une installation ou dans une bibliothèque bancale. Sur quelques planches à peine tenues. Masanao Hirayama fait aussi des installations. Des espaces précaires. Bricolés. Quelques planches de contreplaqué, du scotch noir, et quelques clous suffisent à faire une salle d'exposition sommaire ou un photocopieur en bois. Tout est toujours simplissime. Pas d'esbroufe. Pas d'effet.
Être simple est une décision et un état des choses. Atteindre cet état des choses, et toute l'évidence qui lui est nécessaire, relève toujours de l'exploit. Les premiers dessins d'Hirayama étaient plutôt stricts. Entièrement faits à la règle, ils étaient porteurs d'un artifice. Volontairement dans la ligne claire, ils étaient d'une mesure calculée, trop calculée. Le dessin ne pardonne rien. Il est toujours à nu. La moindre hésitation, la moindre volonté trop appuyée, le moindre maniérisme y est visible. Cruellement. Chez Hirayama, tout ça a disparu. Il ne reste que le dessin dans son hésitation évidente, dans cette installation impossible dont parle Peter Handke dans son Histoire du crayon.
Chez Hirayama les moyens sont toujours rudimentaires. Du scotch, un fouet, une couverture de survie, des paillettes, un miroir... On pense à Filliou et à son effort constant pour ne jamais faire mieux. Pour toujours rester au plus simple. Pour ne pas avoir de talent.
Il n'y a pas grand monde qui dessine ou qui bricole aussi simplement. Oswald Tschirtner pour les dessins.
Oui. Filliou. Oui.
Voilà.
Éric Watier, " Notes sur Masanao Hirayama ", février 2015
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Du mardi au samedi de 14h à 18h, sauf les jours fériés - Entrée libre
Lieu accessible aux personnes à mobilité réduite