Que vous soyez un novice, ou un lecteur expérimenté, ce récit est fait pour vous. Partons à la découverte de Matt Murdock, gamin en liberté dans les ruelles de Hell's Kitchen. La famille est importante, et défaillante, avec la mère décédée et le père, Jack Battlin' Mudock, vieux boxeur sur le retour et à la carrière cahotique. Ce dernier fait de son mieux pour assurer au fiston une éducation digne et un avenir brillant. Pas question qu'il aille en découdre avec les autres trublions du quartier, où qu'il néglige les études. Matt doit travailler dur à l'école, et plus tard il sera avocat, homme de loi talentueux, et respectera les règles de notre société pour établir la justice. Ce n'est pas avec les poings qu'on vient à bout des problèmes, mais avec la loi. Du coup le garçon est un peu la risée des autres, dans la cour de récré, et sa noblesse d'âme ne lui est guère profitable le jour où il se jette devant un camion fou pour sauver la vie d'un vieillard qui traverse sans regarder. La cargaison du véhicule est toxique et a des répercussions inattendues sur Matt. Il perd la vue, mais les radiations qui l'ont privé de ses yeux augmentent également de manière exponentielle et surnaturelle ses autres sens. Il peut dorénavant entendre, sentir, comme jamais personne personne avant lui. Plus fascinant, il se retrouve doté d'une sorte de sens radar, qui lui permet de s'orienter et appréhender son environnement avec encore plus de sûreté e de précision que s'il pouvait faire usage de la vue. Un tel potentiel a de quoi déboussoler à jamais la victime, qui va patiemment apprendre, au contact quotidien du vieux senseï Stick, à canaliser et exploiter ces particularités, qui deviennent ainsi des dons fabuleux. Si pour Matt une nouvelle existence commence à se dessiner, pour le père les choses vont de mal en pis. Les récents succès inespérés obtenus sur le ring ne sont en fait qu'un froid calcul d'organisateurs véreux, qui lui demandent de se coucher le jour de la grande rencontre décisive. L'exact contraire de ce que le boxeur a toujours voulu inculquer à son gamin. Ne jamais baisser les bras, ne jamais se résigner, vivre la tête haute. Quitte à en payer le prix, aussi lourd soit-il.
C'est dans la tragédie que se forgent les vrais héros, comme le savent les lecteurs de comic-books. Matt Murdock n'échappe pas à la règle, puisque déjà privé de la vue le voici désormais orphelin, et pour une première épreuve d'envergure chargé de venger le paternel assassiné. Dans Man without Fear, nous apprenons également à connaître la belle Elektra Natchos, fille de diplomate grec, pour qui Matt craque rapidement. Les deux ont une histoire d'amour enflammée et problématique, qu'ils vont consumer dans l'excès et la hâte, car là encore rien n'est simple, rien n'est limpide, et le drame se cache toujours dans les plis du récit. Frank Miller, encore loin de devenir le bourrin réactionnaire qu'il s'autorise à être depuis des années, n'en oublie pas que les années de formation, ce ne sont pas uniquement celles de l'enfance, ou de la découverte et maîtrise des pouvoirs, mais aussi celles des sentiments qui s'éveillent, et marqueront à jamais la carrière d'un justicier qui collectionne depuis ses débuts les conquêtes féminines. Un point commun à (presque) toutes : elles finissent par rencontrer une fin tragique, et leurs existences sont happées par le tourbillon malsain qu'est le quotidien de Daredevil. Miller présente ici un héros en devenir, seul, incompris, qui cherche refuge dans le mensonge (sa double identité est restée secrète si longtemps, même de son meilleur ami et associé), la passion, ou les études. Un homme complexe dont les activités diurnes visent à faire triompher la loi et la justice avec de brillantes plaidoiries, tandis que les activités nocturnes le rapprochent d'un vigilante aux méthodes plus nuancées. De la prime enfance à l'héroïsme, un parcours humain brillant, jamais banal, crédible et touchant. Du grand art à coup sur, qui plus est magnifié par ce qui est une des deux ou trois meilleures prestations de la carrière de Romita Jr. Tout y est : la cadrage, l'inventivité, le dynamisme, le trait aussi réaliste que suggestif. Comme cette superbe double page avec un Daredevil en costume, bondissant sur les toits, croqué dans cinq positions différentes, mordant New-York à pleines dents. La genèse d'un des personnages les plus attachants de l'univers Marvel, à (re)lire bien vite avant d'aborder la série à venir, sur Netflix, qui semble s'inspirer de cette oeuvre (le costume sommaire, noir, qu'endosse Matt à sa première sortie pour ne pas être reconnu, par exemple). En anglais on résume ça en un seul mot : Masterpiece.
La Vf est disponible chez Semic, dans les deux albums Top Bd 35 et 36 (1994), ou bien chez Bethy (un album datant de 1997). Plus récemment dans l'Omnibus (Panini) Daredevil de 2009.
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