C'est le premier spectacle chorégraphié par Guesch Patti, artiste singulière et irremplaçable. On la connait comme chanteuse, en raison du phénoménal succès d'Etienne (
victoire de la musique en 1998), mais elle a fait ses débuts en danse, à l’Opéra de Paris, et avec Roland Petit. Et elle est particulièrement juste quand elle s'appuie sur les codes de la gestuelle de la danse contemporaine.Son talent lui aurait permis de faire une carrière dans ce domaine. Sa volonté de conjuguer le théâtre parlé et la danse est donc tout à fait légitime. Le concept est néanmoins original en France où l'on aime les étiquettes lisibles.Pour résumer on peut dire qu'un huis clos rassemble une femme et trois hommes pour composer quatre tableaux dans un espace universel, sensuel, chaud et humide où ils vont s’apprendre, s’interroger, se déchirer, s’apprivoiser pour explorer leurs visages et leurs regards portés sur eux-mêmes.
On pourrait penser que la femme a convoqué les trois hommes. Il y a un règlement de comptes qui autorise de re-voir le passé sans aller jusqu'au bout, puisqu'on "passe toujours à autre chose". C'est l'histoire universel de toutes les femmes qui un jour se demandent pourquoi et comment elles ont pu aimer deux ou trois hommes un peu plus que les autres qui seraient passés dans leur vie et qui brutalement interrompraient le cours de leurs souvenirs d'un "ça suffit" un peu abrupt.
C'est un sujet pour le théâtre. Le texte est volé sur un autoportrait d'Edouard Levé, lui-même photographe aimant beaucoup la danse contemporaine, avec lequel Guesch Patti devait travailler depuis longtemps. Le suicide de cet homme a suspendu le projet. Et puis elle s'est autorisée à le reprendre.
Cette pièce est intrigante à plus d'un titre. Olivier Balazuc, comédien est convoqué comme danseur par Guesch Patti qui elle-même a été danseuse, chanteuse, faisant aussi la comédienne. Le croisement des genres marque décidément cette aventure.
Les deux autres danseurs, Jaime Flor et surtout Vincent Clavaguera (il a travaillé avec Olivier Py dans plusieurs de ses mises en scène d'opéra ), sont des danseurs très confirmés, qui ne déméritent pas à jouer. On rentre dans la pièce sans chercher à discerner ce qui se danse et ce qui se joue, pour vivre des actions d'émotions et de violence, de paroles parfois douces, parfois fortes.
Le projet de ce spectacle est le fruit de toutes les identités de Guesch Patti. Elle y a mis la danse, le théâtre, l'amitié, l'amour des textes et d'un certain registre musical (on entend Gavin Bryars, Nine Inch Nail ...). On pourra voir sur scène son autoportrait en creux et je ne doute ni de sa sincérité ni de la quantité de travail pour aboutir à cette interprétation d'une femme à la dérive, si touchante.
Attente, concentration, les spectateurs vivent quelque chose de tendu et de retenu comme une porte qu'on aurait pas osé claquer. Gêne, pudeur, souvenir ...
J'oublie ce qui me déplait.
L'affirmation donne le signal d'une tension et d'une émotion. Le principe de plaisir guide plus ma vie que le principe de réalité. (...) Quand je vois quelque chose d'exceptionnel je pense pendant quelques instants qu'il s'agit d'une illusion.
Les costumes sont insolites, en particulier celui de la danseuse, en pull et jupe de laine. Soit !
Je ne suis pas davantage convaincue par le décor, ou plutôt le non-décor. D'un coté j'apprécie que le public soit dans une situation semblable à celle des comédiens qui répètent leur texte d'abord sur un plateau nu, cerné de murs lézardés, fissurés, donnant à voir sa tuyauterie et la porte du fonds, celle là même par laquelle on introduit les décors. Nous nous trouvons donc dans une sorte d'intimité avec la scène, mais cette manie d'employer le plateau dans une sorte de recherche extrême de simplicité et de dépouillement a ses limites.
On se dit que ce coté brut de décoffrage est une forme de facilité apparente. Le son s'envole dans les cintres et la représentation est parfois difficile à suivre, surtout quand les niveaux ne sont pas parfaitement réglés. En outre, le fond de scène étant différent d'un théâtre à l'autre il pourra y avoir des surprises inopportunes. Quoiqu'il en soit celui de l'Atelier est assez esthétique, sorte de métaphore d'un lieu intemporel, inachevé qui s'accorde avec cet objet théâtral.
Je n'entrerai pas dans le questionnement de l'appartenance à un genre, la danse ou le théâtre. On peut néanmoins se demander s'il est très raisonnable d'occuper plusieurs postures, celle d'interprète et celle de metteur en scène (ou chorégraphe). Il me semble que la position est inconfortable même pour quelqu'un qui a énormément appris de grandes chorégraphes comme Carolyn Carlson ou Pina Bausch.
Edouard Levé l'aurait sans doute encouragée dans ce sens, lui qui achevait le texte sur cette phrase ô combien lourde de sens : je cherche ma voie.Re-Vue Guesch PattiLes lundis 9 et 16 mars à 20h30Au Théâtre de l'Atelier, 1 place Dullin - 75018 Paris 18 - 01 46 06 49 24Avec Olivier Balazuc, Vincent Clavaguera, Jaime Flor, Guesch PattiD’après l'œuvre d'Edouard Levé, Autoportrait, et selon une conception de Guesch PattiDramaturgie Pier LamandéAssistanat chorégraphie Darrell DavisLumière Séverine RièmeCostumes Michel RonvauxA signaler qu'on peut toujours boire un verre ou même "casser une graine" au bar du premier étage à partir de 18 h 30. L'endroit s'appelle le Milk (Mum in her little kitchen)et est ouvert du mardi au dimanche avant chaque représentation.
La carte est sobre mais le patron s'accommode des diverses contraintes qu'on peut lui donner (comme celle d'être végétarien). Les produits sont frais et de saison pour composer des petites choses comme des cakes salés, des tartinades, des planches de charcuterie et de fromages fermiers et quelques desserts.
Le tout est fait maison.
Réservation possible au 06 09 05 40 00 (et conseillée pour un groupe).