Chronique « Le Sculpteur »
scénario et dessin de Scott McCloud
Adultes/Adolescents
Style : Récit initiatique
Paru chez « Rue de Sèvres », le 20 mars 2015, 496 pages, 25 euros
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L’Histoire
Pour ses 26 ans, David Smith, siphonne des verres de bière, dans une brasserie, tout seul. A moitié saoul, il rencontre son oncle Harry, qu’il n’a plus vu depuis une éternité. L’occasion de raconter son parcours.. pas très glorieux. Sans emploi, il a fait une croix sur sa carrière de sculpteur (qui avait pourtant démarré) et perdu sa petite amie.
Le vieil homme tend à David le “comics” qu’il avait dessiné pour ses 9 ans. Dans ce rêve d’enfant, il s’était imaginé en « Super-Skulteur », doté de super-pouvoirs pour façonner la matière.
La discussion se poursuit et David se rappelle que cela fait des années que son oncle est mort….
Sous les traits de Harry, le diable est venu offrir à David l’opportunité de réaliser son voeux le plus cher. Mais tout a un prix. Cette nouvelle vie, ce “reboot”, trouvera son terme dans 200 jours…
Ce que j’en pense
Pour moi, comme la plupart des lecteurs européens, le nom de Scott McCloud est associé à une trilogie d’albums pédagogiques particulièrement intelligents et accessibles du 9e art (Cf. “L‘Art invisible” “Réinventer la bande dessinée” et “Faire de la bande dessinée”). Mais cet auteur n’est pas SEULEMENT un brillant théoricien. Auteur de comics (pas ou peu publiées en France), voici son ‘grand oeuvre”, une ambitieuse fiction de 485 pages !
Reprenant le mythe de Faust, Scoot Mc Cloud nous invite à suivre David Smith (quoi de plus banal comme nom aux US ?) son “double de papier”. Artiste raté, rêve brisé, vie en morceaux, quand le diable, la mort, oncle Harry, (appelez le comme vous voulez) lui offre un pacte, il n’hésite pas longtemps. Doté de super-pouvoirs, le voici capable de manipuler la matière avec ses mains. Enfin, il va pouvoir se faire un nom, laisser une empreinte durable dans la conscience collective.
Mais Qu’est ce que David attend de la vie ? La reconnaissance ? L’amour du monde entier ou d’une seule personne ? Dans les 200 jours qui lui sont donnés avant une fin inexorable, David va devoir faire des choix et s’interroger sur ses priorités.
Avec ce pavé d’une richesse et d’une maîtrise narrative incroyable, Scott McCloud reprend un des plus vieux thèmes de fiction, dans une version très personnelle (simple, accessible, intime et moderne à la fois).
Dans “Le Sculpteur”, Scott McCloud entremêle les histoires autour de David. Histoire d’amour avec Meg, de reconnaissance dans le petit monde de l’art contemporain, personnelle avec sa famille, de l’Art dans la société… j’ai eu la sensation de voir toutes les interrogations qu’un artiste se pose, habillement exposé au long du récit…
Pourtant, ce mélange d’arcs narratifs, un peu déroutant au début, ne nuit pas au discours. McCloud dérive… tout en restant concentré sur son sujet. Que faire de ces 200 Jours ? Quel accomplissement recherche un artiste, et plus simplement un homme ?
En prenant son temps, souvent par les chemins de traverse, et même par le fantastique (ah, les super pouvoirs, façon Comics), on suit David, qui va du désespoir à la tristesse, en passant par l’euphorie. Ces 200 jours deviennent le condensé d’une vie, le résumé de tous les choix qu’il va devoir se poser et assumer.
Pourtant, malgré ses super-pouvoirs et sa folle envie de reconnaissance, David ne devient jamais célèbre. Trop fouilli, pas assez concentré, pas assez profond ? Qu’importe, peut-être que Scott McCloud cherche à nous dire que l’important, ce n’est pas cette illusion de bonheur qu’est la célébrité…
Cette lecture m’a touché comme rarement. Ce récit tendre, subtil et pudique (l’amour naissant et compliqué entre David et Meg est touchante) m’a véritablement bouleversé, jusqu’à la fin…
Coté dessin, Scott McCoud est un grand. Son trait semi-réaliste est sobre, mais suffisant pour porter cette belle histoire. Les compositions, la maîtrise narrative et visuelle de McCloud font toute la différence. Sans les variations formelles qu’il se permet (grandes “splash pages”, mise en pages éclatées, voix off sur paysages, ou simples champs/contre Champs), l’album pourrait être pesant, mais il n’en est rien.
Le découpage, toujours impeccable, utilise des cadrages ingénieux, sans oublier la sacro-sainte lisibité.
Scott McCloud complète son trait sobre et élégant d’une mise-en-couleur en camïeux de bleus, qui plongent l’ensemble dans une “monotonie” assez captivante et un peu fantastique.
Pour résumer, Scott McCloud démontre son amour de l’art et la passion qu’il exige. Avec “Le Sculpteur”, il prouve qu’en plus d’être un formidable essayiste, c’est un formidable artiste. Il signe le plus émouvant et le plus abouti des romans graphiques que j’ai lu depuis “Blankets”.