Modiano est entré dans ta vie il y a peu. Deux ans disons. Tu le connaissais, oui. Tu aimais écouter Frédéric Bonnaud en parler avec des grelots dans la voix. Parce que Bonnaud, il l'admire depuis le début, Modiano. Tu te souviens de cette fin d'après-midi de la dernière émission de ce Bonnaud-là, viré de France Inter parce qu'il y distillait un niveau de culture trop élevé (oui oui, c'était le motif officiel), tu te souviens donc que tu t'étais garée face à la mer, en rentrant du travail, pour entendre son au revoir et pleurer avec lui. Tu te souviens de la musique aussi. La BO des Deux Anglaises et le Continent. Il pleurait Frédéric Bonnaud. Toi aussi. Et encore, il parlait de Modiano.
Il fallait que tu lises. A l'évidence. Cela a pris du temps, et un dimanche de pluie, dans les cartons d'une bibliothèque qui faisait le vide, Dans le café de la jeunesse perdue t'as tendu les bras. Embarqué.
Tu lis. Enfin. Tu te laisses porter par ce texte. Il ne passe rien. Il se passe tout. La magie Modiano opère. Tu t'en délectes, tu savoures. Les mots justes. L'émotion simple et si pénible. L'entière contradiction de l'être. Tu aimes. Tu ne lis que celui-là. Il te ramène à des sensations connues, lointaines, tu connais les hommes et les femmes de ce livre. Tu reconnais leurs âmes.
Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier paraît quelques mois plus tard. Tu sais qu'il est pour toi. Tu le laisses fondre. Du gingembre confit: tout doux au commencement et puis brûlant.
Tu sais désormais que cette écriture-là t'es devenue indispensable. Parce que.