Quelques heures plus tôt, on avait décidé de bouleverser tous nos principes et de faire un plateau repas familial, assis par terre au salon devant la télé. On imaginait déjà l’hystérie collective qui les prend à chaque fois qu’on se couche un peu trop tard, qu’on a le droit de regarder un DVD le soir, qu’il y a des invités, ou même qu’on peut manger dehors. C’est encore mieux s’il y a des chips et pas trop de légumes évidemment. Et puis de l’Oasis.
Quelques minutes plus tôt, j’avais dans mon caddie de quoi boucher leurs artères sur treize générations. Et des chips. Et de l’Oasis. J’avais un peu honte en passant à la caisse, plus habituée du rayon frais et bio, mais ça me faisait rire, justement.
Quelques secondes plutôt, j’avais freiné, et puis souri à un lapin qui traversait ma route de campagne à grands bonds pressés. Mes pensées vagabondaient et le sourire flottait encore sous mes lèvres quand, dans un hurlement de freins, son pare-chocs a frôlé ma portière.
Envolé le sourire, finies les douces rêveries de ketchup sur la carpette du salon, de soda renversé sur le cuir beige du canapé. J’ai pensé soudain que tout allait si vite, et que tout pouvait s’arrêter non pas demain, mais là, tout de suite, quelques millièmes de secondes après la petite queue du lapin disparue dans le fourré. Au moment où on s’y attend le moins. Où on a fait tellement de projets. Quand on a tourné le dos à tout ce qui nous lestait, quand la vie devient sinon douce au moins jolie. Comme s’il y avait un bon moment pour que tout s’arrête, d’ailleurs.
Le coeur encore battant la chamade j’ai rejoint les enfants, je les ai serrés un peu plus fort que d’habitude encore, me remplissant de leur vie insolente. Tandis qu’ils mordaient dans leur hamburger, alignés sur le canapé, j’ai regretté de ne pas avoir acheté de bonbons pour le dessert. Ceux qui collent aux doigts, aux dents, et aux plaids du canapé sous lesquels ils avaient caché leurs jambes en pyjama.